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Comment devient-on pasteur en République Démocratique du Congo ?

L'abbé Cibaka Cikongo , Docteur en histoire de la théologie, Prêtre du Diocèse de Mbuji Mayi (République Démocratique du Congo), pr é sentement en s é jour en Espagne.

1) Quel est le rôle du pasteur ou du prêtre et de l'église dans notre société?

Abbé Cibaka Cikongo : Je dois tout d'abord remercier CongoVision pour l'honneur qu'il me fait en m'associant à ce grand débat sur l'état actuel de la « question » religieuse en République Démocratique du Congo. Pour répondre à votre question, dans l'Eglise Catholique, le rôle ecclésial et social du prêtre comprend trois fonctions essentielles : 1º) La fonction prophétique, en vertu de laquelle le prêtre est ministre chargé de la proclamation et de l'interprétation de la Parole de Dieu, laquelle contient la Révélation du plan de salut de Dieu en faveur des hommes ; 2º) La fonction royale, en vertu de laquelle le prêtre est ministre chargé de la direction spirituelle du peuple de Dieu à lui confié en vue de ce salut éternel ; 3º) La fonction sacerdotale, en vertu de laquelle le prêtre est, d'une part, ministre de la grâce de Dieu auprès des hommes et, d'autre part, intercesseur de ces hommes auprès de Dieu. Selon les différents contextes religieux, politiques et sociaux dans lesquels il peut se trouver, le prêtre catholique est un homme au service de l'amour de Dieu en faveur de l'humanité, appelé à vivre sa mission en fonction de ce triple idéal de prophétie, de royauté et de sacerdoce. C'est la mission du prêtre en tant que membre d'une communauté qui croit ; c'est la mission de toute l'Eglise, en tant qu'elle participe du sacerdoce unique du Christ dont elle est le corps, appelée à être le sel de la terre, la lumière du monde, en vue de l'avènement du Règne de Dieu… Le devoir du prêtre et de l'Eglise, c'est de découvrir, à travers les diverses situations historiques, sociales, politiques, culturelles, religieuses… dans lesquelles ils peuvent se trouver, comment rendre actuelle et pertinente cette triple mission… Dans cette optique, je peux me permettre d'affirmer que la mission du prêtre, la mission de l'Eglise implique tout ce qui est service de Dieu et de l'homme ; elle n'exclut que ce qui est service du péché…

2) Dans les églises « traditionnelles » catholique, protestante et Kimbanguiste, comment devient-on prêtre ou pasteur ?

Abbé Cibaka Cikongo : Il y a un postulat de base que je voudrais poser avant toutes choses : « Nul ne s'arroge à soi-même cet honneur, on y est appelé par Dieu, absolument comme Aaron » (Hé 5,4). En effet, je crois que chaque homme n'est pas un produit du hasard, mais qu'il est personnellement voulu par Dieu. Aussi réussir la vie consiste-t-il à découvrir et à réaliser ce pourquoi Dieu nous donne la vie. Pour répondre à votre question, je déduis de ce postulat que devenir prêtre est un acte commun de foi d'un individu donné et de sa communauté ecclésiale en une vocation divine, un appel personnel de Dieu à participer de l'unique sacerdoce du Christ. Je voudrais dire que le candidat au sacerdoce et sa communauté ecclésiale découvrent et confessent, sous la mouvance du Saint-Esprit, que l'Ordre sacré à confier à l'un de ses membres est un don personnel qui relève de la seule initiative de Dieu. Le processus catholique de discernement et de maturation de la vocation sacerdotale est un long chemin qui peut dire plus de quinze ans. Il implique le candidat lui-même, sa communauté paroissiale d'origine, les séminaires, la communauté diocésaine et, en dernier lieu, l'Evêque diocésain (ou le supérieur respectif pour ce qui est des prêtres religieux). Ce temps de discernement et de maturation est un temps de formation. Dans le cas de notre pays, si le passage par le petit séminaire n'est plus obligatoire, il est néanmoins demandé au candidat au sacerdoce l'obtention du diplôme d'Etat pour être admis au grand séminaire. Dans certains diocèses, les candidats au grand séminaire qui ne viennent pas du petit séminaire, font une année propédeutique. Le grand séminaire comprend trois ans de philosophie et un cycle de théologie de quatre ou cinq ans selon les provinces ecclésiastiques. Mais le séminaire n'est pas une simple institution académique ; le candidat au sacerdoce y reçoit aussi une formation humaine intégrale : spirituelle, morale, sociale, psychologique, sportive…

3) Comment devient-on pasteur dans les églises dites indépendantes"?

Abbé Cibaka Cikongo : Je ne me sens pas habilité pour répondre à cette question. Je laisse cette tâche à nos frères des églises indépendantes.

4) L'hyperreligiosité du peuple congolais est-elle l'expression d'une quête authentique de la spiritualité ou juste un refuge contre les conditions sociales actuelles au pays ?

Abbé Cibaka Cikongo : Interpréter l'inflation du religieux que connaît notre pays est une question assez complexe, du fait de la nature même du phénomène. Pour ma part, je dois vous avouer que cette inflation m'inspire plus de peur que de joie. En effet, par-delà la menace réelle que cela représente pour mon Eglise, il faut reconnaître que cette inflation se nourrit de l'humus de la longue crise que connaît notre pays. Est-ce une forme de révolte non-violente contre l'incompétence chronique des pouvoirs établis, un cri de désespoir d'un peuple qui n'a que trop souffert ? Dans ce cas, ce serait une révolte légitime, mais qui a le défaut de déresponsabiliser l'homme, de lui faire fabriquer un certain dieu à la taille et à la mesure de ses frustrations et de ses démissions. J'estime que cette inflation est un fait conjoncturel, qui laissera néanmoins des traces durables et négatives dans l'histoire religieuse de notre pays. Dans certaines de ses innovations pastorales, mon Eglise n'est pas à l'abri de la tentation de cette religion du spectacle et du merveilleux. Et il ne faut pas exclure la main du politique et du lucratif, interne et externe, dans ce phénomène qui dessert les intérêts de notre Nation.

5) Les multiples divisions au sein des églises dites "indépendantes" sont-elles dues à l'absence d'une pensée théologique cohérente et unifiée?

Abbé Cibaka Cikongo : L'absence d'un magistère suprême, comme c'est plutôt le cas dans L'Eglise Catholique, est un facteur qu'il ne faut pas négliger, ainsi qu'on peut le voir à la lumière de l'histoire de la Réforme. Il est normal que, là où il n'existe pas d'arbitre pour trancher, les divergences dans la lecture et l'interprétation de la Bible donnent naissance à des communautés aux crédos divers et, parfois, opposés. Cependant, il faut aussi tenir compte d'autres facteurs, comme les conflits de leadership, la mercantilisation du culte, la difficile cohabitation entre différents groupes ethniques…

6) La prolifération des églises et des sectes dans notre pays et dans la diaspora congolaise doit-elle être perçue comme une richesse ou un signe d'appauvrissement spirituel ?

Abbé Cibaka Cikongo : Globalement, j'estime que cette prolifération ne nous enrichit pas, parce que, alors que la situation de notre pays demande plus d'unité et de cohésion, la religion nous divise, nous démobilise, nous fait perdre du temps et de l'énergie dans des querelles inutiles… Cependant, malgré certaines proximités et affinités entre notre pays et sa diaspora (il y a des églises qui naissent dans la diaspora avant de s'implanter au pays, avec toute la grandeur que l'imaginaire populaire attribue à ce qui vient de l'étranger, et vice-versa), je crois que certaines nuances s'imposent dans le jugement que l'on doit porter sur la prolifération du religieux dans l'un et autre univers. En ce qui concerne la diaspora, loin d'être de simples lieux de prière, ces églises sont des voies d'accueil et d'intégration dans un univers souvent indifférent, pour ne pas dire hostile.

7) A quand remonte-t-elle l'émergence de différents courants de pensée religieux qui prolifèrent en RDC ?

Abbé Cibaka Cikongo : Même si, pour des raisons spécifiques, elle a atteint des dimensions démesurées à partir des années 80, la prolifération de courants religieux chrétiens n'est pas une invention congolaise ; elle nous vient aussi de ceux qui nous ont évangélisés. Pour paraphraser une formule consacrée, les missionnaires nous ont annoncé le Christ en se tirant des cailloux. Nous avons reçu la foi chrétienne par le biais des Eglises divisées et opposées entre elles. De là à créer ses propres Eglises, quelles que soient les raisons, il n'y a qu'un petit saut, facile à faire.

8) La fragilisation du tissu socio-économique suffit à elle seule à expliquer cette émergence ?

Abbé Cibaka Cikongo : Il va de soi que la fragilisation du tissu économique n'explique pas tout le phénomène. Outre les causes politiques et mercantiles (qu'il ne faut pas négliger), on peut aussi parler de l'échec d'une certaine pastorale des Eglises traditionnelles, la recherche légitime d'un christianisme qui prenne en compte les réalités autochtones, le besoin d'une communauté de vie dans laquelle l'individu ne se perd pas dans les foules qui fréquentent les grandes Eglises, la lecture fondamentaliste de la Bible, le besoin d'une religion accommodante, qui fait sa place aux devins, aux polygames…

9) Quel regard doit-on porter sur ces courants qui récusent toute pratique divergente ?

Abbé Cibaka Cikongo : Cette situation doit nous interpeller tous à cause des dangers qu'elle contient pour l'avenir de notre nation. Nos responsables politiques ont peut-être plusieurs choses urgentes à faire, mais une certaine rigueur doit s'imposer dans la politique de concession de la personnalité juridique aux différentes associations religieuses. Comme prêtre catholique, mon regard est celui d'un homme inquiet eu égard à l'exercice et à l'avenir de ma mission, d'une part, pour que mon Eglise ne cède pas à la tentation de la facilité et du mimétisme pour alimenter ses ouailles d'illusions à la mode dans les nouvelles églises et, d'autre part, pour qu'elle fasse son examen de conscience, qu'elle change, qu'elle ne soit pas complice et responsable de ce désastre religieux.

10) L'absence d'une culture religieuse est criante dans le chef de bon nombre des prédicateurs émergents des « églises de réveil ». Comment les chrétiens « traditionnels » doivent-ils s'armer pour faire face à cette nouvelle vague idéologique « radicale » ?

Abbé Cibaka Cikongo : Pour faire face à cette nouvelle situation, qui vide nos temples, nos Eglises doivent, sur le plan religieux, repenser leur pastorale en favorisant la formation biblique et doctrinale des fidèles capables de répondre de leur foi et, sur le plan social, s'engager davantage dans la lutte pour l'avènement d'un nouveau pays, pour supprimer les causes qui poussent les citoyens à se réfugier dans le délire religieux pour faire face à leurs frustrations.

11) Ces prédicateurs que d'aucuns qualifient de « charlatans » ou de « vendeurs d'illusions » proposent une foi renouvelée. Celle-ci consiste à une lecture simpliste des écritures saintes, c'est-à-dire, elles sont lues mot à mot. L'interprétation qui en résulte est souvent biaisée. Doit-on tenir compte du contexte situationnel et relationnel dans la compréhension de la Bible ?

Abbé Cibaka Cikongo : Pour employer un terme à la mode, je dirais que la Bible est un texte interactif, c'est-à-dire un texte que le croyant lit pour y découvrir le message que Dieu lui adresse dans sa situation réelle. Mais, pour être correcte, une telle lecture du texte en tant que message divin doit supposer une bonne compréhension du texte en tant que texte. Car la Bible est la parole de Dieu en langages humains. Une lecture qui néglige l'épaisseur humaine et historique qui porte le texte sacré finit par absolutiser l'accessoire et le contingent, à passer à côté de l'essentiel…

12) Comment doit-on lire la Bible ? Quelle interprétation doit-on en faire ?

Abbé Cibaka Cikongo : Pour un chrétien, la Bible n'est pas un simple texte humain ; elle est parole de Dieu en vue du salut de l'homme. Aussi le chrétien doit-il se garder d'en faire ce qu'elle n'est pas : elle n'est pas une sorte d'encyclopédie où l'homme trouvera le dernier mot sur toutes les questions que l'homme peut se poser. Il ne faut pas chercher dans la Bible ce qui n'y est pas, par exemple ce qu'il faut faire pour se guérir de la malaria, pour traiter une anémie… La Bible nous parle de notre ultime destinée religieuse et nous indique le chemin à suivre pour y parvenir. Une destinée religieuse qui englobe toutes nos autres destinées et est la condition de la réussite de toutes nos entreprises temporelles. La lecture de cette parole de Dieu n'est pas facile et elle n'est pas à la portée de n'importe quel charlatan se réclamant de quelque révélation privée. Pour nous les catholiques, cette lecture, individuelle ou collective, doit toujours prendre en compte les bénéfices de la recherche exégétique pour éviter le piège du fondamentalisme, la foi continue de la communauté ecclésiale qui nous a transmis cette parole de Dieu, sous le magistère apostolique…

13) Certains prédicateurs de ces « nouvelles églises » éprouvent un profond mépris pour la formation classique destinée au personnel religieux. Leur argument principal tient en deux phrases : « Jésus n'a pas été à l'Université » ou « Il n'est écrit nulle part qu'il faut aller à l'école pour enseigner la parole de Dieu ». Est-ce la conséquence du contexte situationnel et relationnel de la RDC ?

Abbé Cibaka Cikongo : En ce début du troisième millénaire, il est tout à fait absurde de se voir obliger de convaincre de l'importance d'une initiation exégétique et théologique à la lecture de la Bible. Pour me limiter au seul texte de la Bible, il est un avertissement de 2 Pierre 3,16 qui vaut pour tout lecteur de la Bible. Lire et interpréter la Torah n'était pas à la portée des analphabètes… Jésus a compté sur les intellectuels pour annoncer son Evangile. Saint Paul, le grand théologien du Nouveau Testament, a été à la grande école de Gamaliel… Je parie que ces interprètes de la Bible, qui s'opposent à la nécessité de la formation intellectuelle, ne savent même pas que le texte qu'ils ont entre les mains supposent un grand travail d'archéologie, d'histoire, d'exégèse, d'herméneutique… qui ne peut être entrepris que par des universitaires.

Propos receuillis par Sylvestre Ngoma

Publié le 01 Décembre 2002

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