Dossier spécial
LE PATRIARCHE DE LA RUMBA CONGOLAISE, ANTOINE WENDO KOLOSOY, A TIRE SA REVERENCE A 83 ANS.
« Nayoki nsango na kati ya Kisasa oyo, bipai na bipai, nayoki nsango e, Wendo akufi e ! Likambo te batata na bamama, likambo te. Bino bokosombela ngai liwa na mbongo, likambo te baninga ! »
(La nouvelle se répand à Kinshasa et partout ailleurs, il semble que Wendo est décédé ! Ainsi va la vie. D'ailleurs, qu'à cela ne tienne, vous avez déjà négocié ma mort à grand prix !)
( Wendo, Bakosi liwa ya Wendo )
La nouvelle est tombée le lundi 28 juillet 2008 comme un grand baobab secoué par un harmattan du début de la saison des pluies : le patriarche de la musique congolaise moderne, le roi de la Rumba , Wendo Kolosoy, a tiré sa révérence aux cliniques Ngaliema de Kinshasa. Mais, qui est alors cet homme dont le nom a fini par désigner toute une génération et un style de la musique Congolaise moderne, la musique dite de « Tango ya ba Wendo » (Du temps de Wendo et consorts) ?
Histoire d'une rencontre à Barumbu
C'était en février 1996 que j'ai rencontré pour la première fois Wendo lors d'un reportage dans la paroisse catholique St Paul de Barumbu à Kinshasa. J'étais alors journaliste à Radio Elikya, la Radio Catholique de Kinshasa. J'y animais, entre autre, l'émission « Solutions Locales » consacrée aux ONG et dont le générique était la célèbre chanson « Naweli Boboto » de Grand Kallé. J'y étais revenu remercier le curé d'alors, l'abbé Charles Tataa, pour m'avoir aidé à réaliser une émission avec les jeunes de l'association CEBAB, Cellule de Base pour l'Assainissement de Barumbu . Mais, ce mercredi-là, l'abbé me reçu avec un vrai scoop : la bénédiction nuptiale le samedi d'après d'Antoine Wendo avec Mme Nelly Mapasi Mwesa, son épouse. Comme je restais suspendu à ses lèvres, l'abbé m'amena rencontrer Wendo chez lui. Lorsque nous arrivâmes au numéro 3 de l'avenue Luapula, je fus attiré par la petite décoration métallique, plaquée à l'entrée de la parcelle et se perdant dans les moisissures d'un mur crasseux : « L'occupant est dignitaire de l'Ordre National du Léopard.» C'est tout ce que lui avait légué le défunt régime car la maison et la parcelle ne reflétaient en rien l'habitat d'un monsieur dont le renom avait traversé les frontières nationales. Wendo était entouré de quelques inséparables amis, les rares fidèles parmi les fidèles. Il avait pris de l'âge et avait les regards perdus vers le ciel, les yeux enfouis dans des lunettes de soleil, le crâne rasé et caché dans un chapeau des cow-boys. Il étonnait aussi par sa sérénité, son sens d'humour et surtout son assurance en des lendemains meilleurs et prometteurs. Il ressemblait à un vrai stoïcien romain. Il est resté un homme modéré à tous égards, n'aimant tirer les causeries en longueur lorsqu'il ne voit pas le bout du tunnel. Il est resté un homme fier et qui avait pleinement foi en lui-même, en son art. Il avait son inséparable guitare. C'est comme s'il savait qu'avant la fin de sa vie, il refera surface sur la scène musicale. C'était étonnant avec le recul de temps. Il accepta, sans protocole, d'être l'invité de mon animation matinale « Antenne 2000 » de ce jeudi-là, à 7h00 à Radio Elikya. Fait étonnant, il se pointa à l'heure. Je noterai de lui qu'il a le respect de l'heure et des engagements dans le sang ; il est toujours resté très exigeant pour les contrats, les horaires, les heures des productions. D'où, des déboires avec nombreux producteurs et mécènes non avertis. Papa Wemba en avait fait une fois l'expérience en l'invitant en Europe. Nos auditeurs furent ainsi surpris d'entendre Wendo répondre aux questions et nous agrémenter de quelques strophes de ses chansons dont la célèbre « Marie-Louise » considérée comme la Roméo et Juliette de la musique congolaise moderne. Ce scoop suscita un engouement particulier des auditeurs et de nombreux coups de téléphones et des lettres nous encouragèrent à poursuivre cette série d'émissions avec Wendo. Une stagiaire étudiante à la Faculté des Communications Sociales des Facultés Catholiques de Kinshasa apostropha après cette émission que « Wendo fait partie de ces hommes dont on ne parle souvent qu'au passé. Je comprends maintenant que l'un des rôles de le presse est de ramener de tels messieurs au présent.»
Puis, ce samedi-là donc, après la cérémonie religieuse, nous nous retrouvâmes dans un cabaret de l'avenue Croix Rouge, avec tous les grands noms de la musique congolaise présents à Kinshasa autour de Lutumba Simarro, Pépé Kallé, Roitelet Munyanya, pour ne citer que ces noms, pour fêter le mariage de Wendo avec Nelly. Pépé Kallé que Wendo appelait toujours « son fils » et en mémoire de qui il dédia une chanson dans un des albums, nous confia d'ailleurs : « C'est lui qui est au commencement de ce que nous faisons maintenant, c'est-à-dire cette musique. Il a dû et su braver les interdictions coloniales pour chanter, faire danser et populariser la Rumba, jouer de la guitare à partir de onze ans, alors qu'il n'était encore qu'un mineur.»
Depuis ce jour-là, il ne se passait des jours sans que je parte lui rendre visite. Je devins ainsi témoin de ses répétions séchées des mélomanes; je vécu ses visions de gloire avant la mort et ses rêveries de remonter un jour sur le podium ; j'assistai comment il haranguait ses amis et compères lorsque fatigués, ils rappelaient le beau-vieux temps. Le refrain de tous était souvent cette chanson d'Adou Elenga : « Ata ndele mokili ekobaluka » (Tôt ou tard le monde changera). Au fil des visites, Wendo me raconta l'histoire de sa vie. Je me décidai alors d'enregistrer nos conversations, d'abord sur cassette audio, puis sur vidéo. Il m'expliqua les thèmes de ses chansons, il me parla de « Marie-Louise », de « Kingambwa », des « Ndumba » et des « Mingando », il me raconta l'histoire d'Efeka Mandungu, catalogue ya Mongo , le capita magasinier célèbre d'un gros magasin qui épousa la plus laide des femmes de Léo. J'appris le vrai sens des expressions comme « Mokili Makalamba », « Bolondo nzete mabe », « Moko na moko akozoka Maki' ma ngumbu » ; des historiettes comme sa tentative d'épouser une Mamiwata, le voyage du Général de Gaule à Brazzaville, le Roi Baudouin au Congo en 1955, la colonisation avec la chicotte, des rivalités et complémentarités entre Léopoldville et Brazzaville ; il me conta sur Kinshasa Lipopo Poto moindo, ses bars de renoms, ses bières, ses célébrités de l'époque, de la bonne vie ; il me parla souvent de ses voyages, des bateaux, de Léopoldville, de Bouaké, de Yamoussoukro, de Yaoundé et de plusieurs choses encore connues et inconnues, avec des troues de mémoires, mêlant rêves et réalités, comédies et conseils de vie, chansons célèbres et inédites, espoirs et déceptions… Il me permit aussi de rencontrer les autres vieux encore vivant. C'était bien avant l'avènement de l'AFDL.
« Tango ya Ba Wendo »
De son vrai nom Antoine Nkalosoy, Wendo est né en avril 1925, d'un père militaire Botuli Jules, habitant alors le Camp Léopold II (aujourd'hui Camp Kokolo), mort alors qu'il avait 7 ans, et d'une mère cantatrice lors des veillées mortuaires, Albertine Bolumbu, morte alors que Wendo avait 9 ans. Il alla ainsi vivre à Matadi auprès d'une de ses sœurs dont le mari travaillait au port, puis revint à Kinshasa et alla ensuite à Mushie, dans le Mai-Ndombe, auprès de son oncle paternel, Bongongo, qui devint son tuteur. Mais, très vite, il décida de revenir à Léopoldville (Kinshasa) se débrouiller seul, puisque d'autres sœurs et frères ont choisi de regagner Mai-Ndombe d'où ils sont originaires. En effet, le grand-père paternel de Wendo fut le grand chef coutumier des Ekonda, trois fois médaillé, Nkalosoy. Mais, le jeune homme, qui avait déjà la musique dans le sang, avait profité du séjour à Matadi pour apprendre à gratter à la guitare que jouaient alors les « popo » ces fameux Coastmen Sierra léonais, Sénégalais, Houssa et autres ouest-africains, descendants de cette main d'œuvre amenée, au début du siècle, par Stanley pour la construction du chemin de fer Matadi-Léopoldville. « A Mushie, nous confia un missionnaire scheutiste qui l'avait appris d'un autre vieux missionnaire alors vicaire à l'époque à Mushie , Antoine, cet enfant né et venu de Léo devenait vite sujet des conversations. Il ne fréquentait pas l'école, mais passait son temps sur les arbres, à fredonner des mélodies qui n'étaient pas des chansons religieuses. Il flânait. Et, chose curieuse, il n'avait nullement peur des Blancs, comme les autres enfants de Mushie de son âge, mais semblait être d'un esprit pervers, libre et nous disions qu'il était un petit bandit. Son retour à Kinshasa fut un vrai ouf de soulagement.» Pour Wendo, Mushie l'étouffait d'où la décision de revenir à Léo humer l'air de liberté. Puis, raconta-t-il, une nuit, il revoit sa mère en songe. Cette dernière lui demanda d'user de son mukwasa (racleur et instrument de musique au Mai-Ndombe pour poètes et troubadours fabriqué avec un bambou) pour gagner sa vie. C'était en 1936. Il avait alors onze ans. Ce fut le début de sa carrière musicale qu'il combinait avec la boxe. Ayant été baptisé à la naissance et ayant chanté pendant un petit temps dans des chorales catholiques, Antoine avait le talent d'un meneur et d'un maître des chants. La musique des jeunes mêlait alors sonorités traditionnelles et folkloriques, surtout les célèbres « zebola » , inspirés des rites exorcistes Mongo, avec des cadences latino-cubaines faites de Salsa, de la Rumba, de Flamenco, popularisées par la colonie des Coastmen nombreux à Matadi, mais aussi à Léopoldville. La symbiose avait engendré le « Medico », genre de folklore modernisé, se rappelle Wendo, avec comme instrument principale le tam-tam carré dit « Patenge » que le batteur devait jouer avec ses mains et une jambe syncopant le rythme. C'est le point de départ de la Rumba.
Wendo s'imposait alors par sa voix, son « mukwasa », sa guitare qu'il améliora avec le temps et surtout avec ses propres petites compositions qui avait la particularité d'être courte avec des refrains faciles à reprendre en chœur. Il se faisait alors inviter pour des veillées mortuaires et, les weekends, pour des célébrations communautaires. Il interprétait des chansons, il réunissait ses amis, il chantait et grattait à la guitare. Comme il battait sa mesure un jour lorsqu'il fut invité à jouer au Congo Bar devant les colons Belges, le gouverneur de la ville, Petillon, fit ce commentaire : « lorsqu'Antoine Nkalosoy bat sa mesure, il bondit comme les amortisseurs de la voiture [Duc de] Windsor.» Le commentaire arriva aux oreilles de Wendo et de ses amis et Antoine Nkalosoy fit surnommer Duc de Windsor qui devint avec la déformation linguistique Wendo Sor , abrégé tôt en Wendo au point de remplacer son nom gentilice.
Après un bref passage pour des petits travaux à la Sabena où il travailla à l'aérodrome de Ndolo, celui qu'on nomma déjà Antoine Wendo devint batelier à l'Otraco, la grande compagnie de transport fluviale, avant de devenir graisseur dans les bateaux de la compagnie HB, la compagnie des huileries du Congo. C'est à bord de Luxembourg qu'il fit ses jours heureux, son job consistant à graisser les engrainages des machines et roues à vapeur avant les voyages et pendant les moments d'arrêts et de repos. Pour tuer le temps pendant ces navigations, Wendo, le riverain de naissance, trouva un divertissement en se plaçant à l'arrière des bateaux, grattant la guitare et chantant des mélodies diverses, pour son propre plaisir. « Pour moi, me dit-il, l'eau de la rivière allant sous les vrombissements des roues à vapeur, était une source vraie d'inspiration. Je pensais à la roue de la vie. Je pensais à ma jeunesse. Je pensais à l'évolution du monde. Comme le dit les Ekonda : Mokili ilala (le monde est circulaire comme une orange) d'où dans mes chansons je dis souvent ‘Mokili makalamba', personne ne peut se taper la poitrine et se dire seul maître du monde et du destin.» Mais, au cours des voyages déjà, Wendo devenait célèbre auprès de nombreux voyageurs. A l'arrêt ou au repos, lorsque le bateau devait charger du bois de chauffage, Wendo se faisait des sous en chantant et en jouant sa guitare pour les passagers. Les commandant de ces bateaux, tous des Blancs, trouvaient le jeune homme amusant tant il égayait les passagers et rendait les voyages moins ennuyeux. Comme de la blague, à chaque port, Wendo était souvent attendu et transporté sur les épaules, amené sur les places des cités, pour chanter, jouer à la guitare et faire danser la Rumba venue de Kinshasa. Un dicton des riverains immortalisa ainsi le succès déjà légendaire de Wendo à ses débuts : le folklore des villages descend le fleuve pour conquérir les gens de Kinshasa, alors que la Rumba [de Wendo] remonte de Kinshasa le fleuve pour conquérir les villages en amont . Son renom montait et descendait avec le mouvement rythmique des bateaux. Wendo chantait le fleuve et l'eau, l'eau et le fleuve chantaient Wendo. On chantait dans les villages : « Wendo ayei, toyei kobina Rumba ya Rumbamba » (Maintenant que Wendo est présent, nous allons danser la Rumba originale).
Cependant, sa carrière va avoir un vrai changement après sa rencontre avec Henry Bowané à Cocquylatville (Mbandaka) alors qu'il montait le fleuve vers Stanleyville (Kisangani). Il le parraina et le ramena à Kinshasa au retour ainsi ils pouvaient chanter ensemble les soirs et les weekends et Bowané pouvait rester garder sa maison pendant que lui Wendo était en voyage. Une fois, pendant que Wendo était en voyage, Bowané alla déambuler en ville et comme il entendait des gens répéter des chansons auprès du Grec Jéronimidis, qui avait fondé en 1947 les éditions « Ngoma », il manifesta le désir de les joindre. Le grec fut très impressionné par sa voix et surtout sa guitare. Il décida, illico presto , de l'engager dans son studio. Modestement, Bowané révéla au grec que le meilleur d'entre tous fut son ‘grand-frère' Antoine Wendo, en voyage sur le fleuve. Comme les bateaux arrivaient toujours aux jours et heures réglés et chronométrés, Wendo fut tout surpris d'être accueilli, à son retour, au port, par Bowané qui vint avec Nikis (Nicolas) Jéronimidis, dans la voiture Douglas de ce dernier. Ce fut la fin de la carrière fluviale pour celle de musicien. Car, il rejoignit les Editions « Ngoma » en signant en 1948 trois contrats : auteur-compositeur, accompagnateur et interprète. Là, il vint rencontrer les autres grands noms dont D'Oliveira et Bukasa, avec qu'il forma le célèbre trio BOW, car Bowané, vrai prototype de musicien voyageur, choisit d'œuvrer après au studio « Esengo ». Ce fut à une époque où les producteurs de musique, commerçants pour la plupart, voulant une publicité supplémentaire à leurs business, regroupaient les musiciens en écurie et en studio. Le studio « Opika » réunissait Jef Kallé, Déchaud ; « Loningisa » eut Luambo Franco, De La Lune, Edo Nganga, etc ; les Editions CEFA avait Roger Izeidi, Roitelet, etc. ; et « Esengo » fut animé par Jimmy de la Hawaïenne, Tino Baroza, Bowané, etc.
Mais, Wendo n'en était pas à son premier exploit musical. Il faudra retourner à la création de la première radio de Léopoldville Congolia où Wendo fut invité en 1946 déjà à enregistrer des chansons diffusées alors par cette radio qui avait des haut-parleurs installés dans les quartiers populaires de Léopoldville, une ville en pleine expansion. Sa première chanson enregistrée fut alors « Mabele ya maman » (Le lait maternel), puis vint « Mbeto ya Wendo » (le lit de Wendo), lit acheté avec les premiers droits de la première œuvre enregistrée. Il chanta :
« Nayeba soko la vie. Namona ata ndako ya Wendo. Bibende ya mbeto ya Wendo bizali na courant na kati. Ah Wendo.. Ah Wendo... Nayeba soko la vie. Namona ata Wendo na miso. Bibende ya mbeto ya Wendo bizali na courant na kati…» (Est-il possible de savoir la valeur de la vie...Puis-je seulement voir la maison de Wendo, le lit métallique de Wendo a du courant. Est-il possible de savoir la valeur de la vie ... Puis-je seulement voir Wendo de mes yeux, le lit métallique de Wendo a de l'électricité...)
Wendo se lia alors d'amitié avec un autre grand de la musique, de quelques années son aîné : Paul Kamba de Brazzaville. Il y avait alors nombreux musiciens qui s'affirmaient déjà vers ces années 30 et 40, chacun jouant un instrument particulier et ayant son genre propre : Souleymane Manoka De Saïo, Camille Ferruzzi, Georges Edouard, Léon Bukasa, Camille Mokoko, Adou Elenga, François Bosele, Victor Mokoko, Albert Luampasi. Souleymane Manoka et Adou Elenga, ayant l'un des parents ouest-africains, apprirent vite à mêler les sons de la guitare avec la kora et devinrent les porte-étendards de cette génération avant Wendo. D'où l'expression en Lingala de « anciens De Saïo » , pour signifier quelque chose de très vieux, la musique des vieillots, avant que la rumba ne s'impose alors.
Marie-Louise de Wendo en 1948.
Si tout artiste peut se définir par une de ses œuvres phares, c'est la chanson « Marie-Louise » qui propulsa Wendo sur le panthéon des immortels. Henry Bowané, habitant chez Wendo, était alors tourmenté et se faisait tourner la tête, jour et nuit, à cause d'une silhouette féminine d'une beauté rarissime et angélique, se souvint Wendo. Fatigué d'entendre Bowané pleurnicher et pour éviter que ce dernier meurt de crise cardiaque ou qu'il aille chercher des fétiches auprès des marabouts sénégalais nombreux alors à Barumbu, Antoine Wendo décida de consacrer une chanson à cette femme, belle, et dont on disait avoir été plutôt crée et modelée directement par Dieu et non pas née d'une femme.
« Marie Louisa ?... De la blague… quelle beauté ! Elle n'était ni mince, ni grande, ni petite, ni noire de peau, ni brune de peau. Tout était harmonie chez elle. Disons, c'était l'impression de ces temps-là car toute femme est belle pour quiconque l'aime. Vous comprenez que nous avions la vingtaine, jeunes, à la mode, avec des poches de pantalons longues et pleines, des artistes ! Bowané ne dormait plus à cause d'elle… Et, j'en avais marre. Il fallait une solution pour mon jeune frère. Je composai ainsi Marie-Louisa » , me dit-il.
La chanson sortit en disque de 78 tours édité pour la première fois en 1948 par « Ngoma », et se vendit comme du pétrole, totalisant, à la fermeture des Editions Ngoma en 1966, plus de 2 millions d'exemplaires. Wendo se promenait alors avec sept chéquiers et pouvait les émettre en Afrique, en Europe jusqu'au Moyen Orient. Car, l'arrivée des gramophones et plus tard des phonos avait aussi rendu célèbre Wendo et fait vendre son disque et « Marie-Louise » connu plusieurs versions, selon les décennies. Lorsque je lui posai la question sur le succès de cette chanson, Wendo répondit :
« Nous sommes au début de la Rumba. Avant Marie-Louise, les rythmes ressemblaient aux Medico ou étaient proches des folklores. Ce n'était que du tam-tam, des maracas puis on jouait souvent du début à la fin. Dans Marie Louisa, je voulu innover. J'ai voulu donner de la place à la danse, la Rumba, et surtout, avec Bowané qui était grand guitariste, je me suis décidé que nous puissions faire raisonner nos guitares pour montrer que nous savions manipuler l'instrument. Mais, Marie-Louise, c'était aussi les paroles qui envoutaient les femmes, parce que personne n'avait osé ainsi chanter la beauté d'une femme comme je le fis. Puis, le duo avec Henri Bowané. Nos voix se relayaient, montant et descendant, les instruments joués en équilibre parfait… »
Le sortilège marcha merveilleusement puisqu'irrésistible, Marie-Louise tomba alors entre les mains de Bowané. Mais, pour un bref délai seulement, car Bowané, comme tous les artistes, dit Wendo, aimait les femmes. La chanson eut la réputation de pouvoir ressusciter les morts. Car, lorsque Marie-Louise était jouée, le monde affluait comme des abeilles autour d'une ruche. Les autorités coloniales s'y mêlèrent et jugèrent la chanson perverse et voulu censurer les strophes « Bowané yo okolela pamba … Biso tozali na mingongo na biso, biso tozali na guitare na biso, tokokima na ye na nzila Kingabwa » (Bowané, ce n'est plus la peine de pleurnicher, tu l'auras dans ton filet… nous avons nos voix et nos guitares nous la kidnapperons et irons avec elle sur la route de Kingabwa). Les missionnaires catholiques aussi. Ils jugèrent la chanson satanique et Wendo presqu'excommunié, alla passer plusieurs mois dans la province Orientale. Déjà célèbre par ses voyages sur le fleuve dont les trajets sont chantés dans une autre chanson « Mobembo ya Wendo » , les disques pressés sous le label de « Ngoma » fit encore de Wendo le roi de la Rumba et lorsqu'il jouait dans un bar, des « ngembo » (admirateurs) affluaient.
En 1947 déjà, l'année avant la sortie de Marie-Louise, Paul Kamba avait fondé le premier orchestre moderne congolais des deux rives : Victoria Brazzaville , copié sur le modèle de ces orchestres venant des métropoles, agrémentant des soirées pour colons et évolués dans des guest houses et bars réservés aux immatriculés. Il avait bénéficié du concours artistique de Jimmy de la Hawaïenne, centrafricain de naissance, né à Brazzaville, qui, renvoyé du Petit Séminaire de Bokoro dans le Mai-Ndombe après y avoir passé 5 ans, y avait appris à jouer aux orgues, la musique et le solfège, et, après un séjour en Afrique de l'Ouest, avec le contact avec des latino-américains, aida les artistes à se constituer en orchestre, à revendiquer leurs droits et à jouer avec plus d'une guitare. Lui emboîtant les pas, tout en continuant à œuvrer chez « Ngoma », Wendo créa en 1948, son Victoria Léopoldville , l'année même de la sortie de Marie-Louise. D'où la chanson de Wendo : « Victoria apiki drapeau » (Le drapeau de Victoria flotte de part et d'autre du fleuve). Avec Marie-Louise , Wendo avait contribué à populariser, sans le savoir, le sebene , inventé encore par Jimmy de l'Hawaïenne, en fait une déformation de « seven » , pour signifier l'accord en Mi composé sur la guitare, et qui devint ce moment dans la chanson congolaise. Pendant le sebene , les guitaristes changent le rythme pour le rendre plus saccadé, les voix des chanteurs sont relayées par les guitares et autres percussions pincées à fond et, sur les « pistes » (estrades pour danses), les mélomanes s'adonnent à la danse « Rumba » à cœur joie, leurs pas raclant le sol et produisant un rythme névralgique et envoûtant, avant que l'orchestre ne revienne reprendre de l'initiative pour conclure le chant, dans un vrai atterrissage en douceur. Car, la chanson en musique congolaise devient ce voyage en avion où, pour reprendre le titre Kita-mata de Josky Kiambukuta, on doit serrer les ceintures pour être prêt pour le décollage. Car, le « sebene » de la Rumba envoûte et déroute les non-initiés. Et, dans « Marie-Louise », Wendo introduit le « sebene » en invitant Bowané de pincer fort sur ses cordes : « Guitare ! » Comme la RDC est un carrefour de musique, des danses, des sonorités étrangères qui y passent et reviennent, la « Rumba » sembla devenir, surtout depuis Wendo et son succès inégalable à ce jour, une marque déposée congolaise et son roi de tout les temps devint Antoine Wendo, « Mokonzi ya Rumba » comme titrait alors les nombreux journaux de l'époque.
Toute la vie de Wendo se partagea ainsi entre le studio « Ngoma », le seul avec qu'il avait signé un contrat et n'a plus œuvrer pour un autre studio, les concerts dans différents bars de Léopoldville ou des invitations à agrémenter des fêtes et des soirées dans nombreux pays étrangers. Wendo vécu ainsi ses moments de gloire et son nom devint la référence de la musique de toute une époque : « Miziki ya tango ya Ba Wendo » (La musique de la génération de Wendo et consorts). Dans un Léopoldville appelé Lipopo, Wendo fait partie des célébrités, « bana bayebana » , comme le chanta Pascal Tabu dit Seigneur Rochereau, qui peut se réclamer actuellement « Mokitani ya Wendo » (Remplaçant attitré de Wendo), ce que Wendo ne lui concédait jamais de son vivant. C'est la période de grands noms : Franck Lassan, Adikwa, Kallé Jeff, Edo Ganga, Lando Rossignol, Essous Jean-Serge, Vicky Longomba, Célestin Kouka, Edo-Clary Lutula, Loubelo De La Lune, Guy-Léon Fylla, Nico Kasanda, André Kambite dit Damoiseau, Tino Baroza, Charles Kibonge, Charles Muamba Déchaud, De Soin Bosuma, Jean Lompongo, José Booto, François Lwambo, D'Oliveira, Camille Ferruzzi, François Bosele, Antoine Kasongo, Jimmy de l'hawaïenne, Paul Mwanga, Déchaud Muamba, Albert Taumani, Tino Baroza, Pierre Ndinga, Kallé Jeff, Georges Dula, Marcellin Laboga, Albert Yamba Yamba, Tanko, Basile, Eboma, Henry Bowané, Jeannot Bombenga, Johnny Bokelo, Roger Izeidi, Marcelle Ebibi, Guy-Léon Fylla, Roitelet Moniania, Armando Brazzos, Bosuma De Soin, Lando Rossignol et Loubelo De la Lune, Moango Brazzos, Losta Abelo, Patrice Ilunga, Edouard Masengo, Kabongo et Jean-Bosco Mwenda, Gérard Madiata, Simon Lutumba, Joseph Mulamba Mujos, Jean Munsi Kwamy et Sinamoyi Pascal Tabu Ley dit Rochereau.
Les indépendances ou le passage à vide pour Wendo
Lorsque survint les indépendances, Wendo est au plus fort de sa gloire. Il roulait carrosse et continuait à toucher ses droits d'auteur qui paraissaient interminables. « Marie-Louise » était toujours pressé et Jéronimidis avait adopté Wendo pour sa fidélité et lui avait acheté une parcelle, avec électricité et eau courante. Mais, se souvint Wendo, il n'avait jamais pensé que « Ata ndele mokili ekobaluka na ndenge ya mabe» (tôt ou tard les choses vont mal tournées un jour) comme l'avait prédit Adou. Les indépendances vinrent tout chambarder. Puis, l'avènement de Mobutu qui vint encore tout détruire. Wendo sembla alors avoir tout récolté de la musique et refusa de chanter les hymnes de gloire du nouveau régime, lui l'ami de Patrice Lumumba. Ce fut l'éclipse pour l'artiste. Me montrant un jour une vieille photo devant le Zoo où il était debout, une guitare à la main, la chevelure coiffée à la Lumumba, il me dit :
« Vous vous étonnez ?... Mais, lui Patrice était chargé du marketing chez Polar, moi j'étais le plus célèbre des musiciens, alors qui peut-il prendre pour ami pour faire la publicité de sa bière ! C'était moi ! Nous dormions parfois chez moi, cherchions femmes ensemble, buvions… Patrice. Lorsqu'il devient Premier Ministre et commença la politique, je ne le fréquentai plus car je n'aime pas la politique. C'est une mauvaise chose. Si tu veux raccourcir ta vie, entre en politique. Patrice était un vrai leader. Nous parlions des chicottes, des souffrances d'être colonisés, des injustices. Il savait convaincre et parler. Il me ramenait souvent des journaux et avec lui des journalistes venaient souvent.»
Le nouveau régime de Mobutu ne l'inspira et n'aspira pas Wendo qui sombra dans le silence et l'anonymat, surtout avec la mort de Jéronimidis en 1955 et la fermeture définitive de la maison « Ngoma » en 1966. Puis, les nouveaux producteurs n'offraient plus des contrats aux artistes, les droits d'auteur n'étaient plus payés, même la création de la SONECA ne vint que brouiller l'art, dit-il. Wendo se rappelait :
« L'indépendance avait gâché l'art et le musique. Le clientélisme du régime de Mobutu avait tué l'inspiration. Il avait choisi Franco et Rochereau et Madiata. Tout le monde voulait chanter politique pour avoir de l'argent. Le politicien avec sa démagogie avait sapé les productions musicales. Il n'était plus possible pour nous autres d'œuvrer. Les producteurs étaient des escrocs. Ils n'offraient plus de bons contrats. J'avais refusé de jouer ce mauvais jeu. Nombreux me trouvaient trop exigeant. Voyons voir avec les nouveaux venus. »
Lorsqu'il se présenta quelques fois sur scène, il reprenait les vieilles chansons d'un répertoire déjà démodé, il jouait et faisait danser toujours sa rumba qui semblait être pris dans le tourbillon des musiques et danses nouvelles : la soukouss, le makossa et d'autres d'importation latino-américaines, surtout avec le passage des grands noms des musiques étrangères comme James Brown. Mais l'artiste ne désespéra et ne broncha pas. Quelques fois il se faisait inviter pour des shows d'anthologie et participait aux enregistrements divers. Mais, la musique ne faisait plus vivre son homme. Jusqu'au jour où, en mai 1997, Laurent–Désiré Kabila vint renverser Mobutu.
Le nouveau Wendo : Chronique d'une renaissance
Je lui rendis visite deux jours après l'entrée de l'AFDL à Kinshasa. Il écoutait attentivement ses amis commenter la politique et ne disait mot. Il n'aimait pas commenter la politique et parler des politiciens, jusqu'au jour où il me révéla :
« Mes jeunes amis et enfants musiciens sont venus me voir pour mettre ma voix dans une chanson sur le nouveau Franc Congolais… Je ne voulais vraiment pas y aller, depuis l'indépendance, les politiciens sont des menteurs et nous ont trop souvent utilisés. Mais, puisqu'ils ont insisté et qu'ils sont venus me voir personnellement, j'ai accepté de mettre ma voix, j'ai écouté d'abord ce qu'ils avaient déjà fait, puis j'ai dit à Lutumba : ‘prends ta guitare, je vais insérer quelque chose-là'. On verra… »
Lorsque la chanson « Mwana Pwo » dédiée au nouveau « Franc congolais » sortit, c'était comme de la blague, un Wendo qui revint en vedette et excella en exploitant, comme personne au monde, son potentiel lyrique, orné de ses inimitables yodlées « aio leli iii », s es fameux effets appogiatures conquirent enfants, jeunes et vieux. Ils furent repris en chœur et à cœur joie par une jeunesse folle de son patriarche ressuscité. Il réadapta deux morceaux d'anthologie : « Ata ndele » d'Adou Elenga et « Mobembo ya Wendo » . Puis, il a fallu attendre après le 2 août 1998, avec la deuxième guerre d'agression, pour voir encore les musiciens congolais se réunir pour « Tokufa mpo na Ekolo » . Là encore, Wendo clôtura l'opus avec des strophes pamphlétaires serties dans une voix mélancolique : « Tozangi mwinda solo, tozangi bilia solo... likolo ya banyangalakata.... » (A cause de ces idiots - entendez rebelles, nous voici aujourd'hui privés d'électricité, de nourriture…). Cette fois-là, il m'avoua :
« Je crois qu'ils sont sérieux, les autorités nouvelles, je veux dire Kabila. Cette fois-ci j'accepte et je vais m'y mettre vraiment. »
L'effet magique ne s'est pas fait attendre. Et, je pu un jour communier à ce Wendo new look en l'accompagnant de sa résidence de Luapula au Zoo où il devait se produire, en présence de Tabu Ley Rochereau. Femmes, enfants, jeunes et vieux sortaient des maisons pour l'applaudir et scander ses morceaux. Les vieilles mélomanes dits « anciens De Saïo » , ne manquèrent pas à l'appel. Les anciens « Ndumba » « Mingando » et «Ngembo » se souvinrent alors de l'effet « Marie-Louise » et apostrophèrent souvent Wendo qu'ils disaient refuser de vieillir. Mais, sur scène au Zoo cette fois-là, Wendo n'avait rien perdu de sa franchise. Il monta sur le podium, après deux gorgées de bière et, après avoir chanté « Albertina », dédiée à sa chère maman, « Mobembo ya Wendo », lança, avant de conclure avec « Marie-Louise », la chanson fétiche, que les autorités venues ne sont pas différentes de celles parties. Puisque Laurent-Désiré Kabila n'a pas honoré la promesse de la voiture et la parcelle promise.
« Totambolaki na Douglas na tango ya Petillon. Tosombaki ndako na mbongo ya Jeronimindis ! »…
(Mais enfin, nous avions jadis roulé sur des voitures Douglas au temps de Petillon ! Nous avions acheté des parcelles avec l'argent de Jéronimindis !)
Quelques jours après, le président Laurent-Désiré Kabila, peut-être informé par le haut conseiller du ministère de la culture présent au Zoo, organisait une cérémonie au court de laquelle Wendo reçu sa voiture Honda de couleur rouge, conduite jusqu'à son domicile par Werrason. Puisque le donateur n'avait pas prévu de plaque minéralogique, la voiture circula, pendant des mois, dans tout Kinshasa telle qu'elle fut donnée : sans avoir été immatriculée. Quant à la parcelle promise, elle n'arriva jamais. Un jour, lors d'une visite, je fus invité à joindre ce qui me semblait être des conciliabules. En fait, fatigué d'attendre la parcelle promise, Wendo et Nelly prirent la décision de vendre la voiture qui devenait objet des querelles et des dépenses. Wendo avait repris mes reflexe de tout artiste humant la gloire et le succès et de nombreux nouveaux fanatiques, tout sexe confondu, désiraient aussi goûter à la gloire au crépuscule de leur idole. « Ce n'est pas la faute du président si je n'ai pas la maison promise. Je dois le remercier pour tout ce qu'il a fait pour moi. Mais, je crois qu'il existe nombreux ‘dongolo misu' (mauvais conseillers) à ses côtés, me confia-t-il. Ils ont commencé avec Mobutu et ils continuent avec lui.»
Mais, les deux entrées dans les deux chansons patriotiques avaient fait renaître Wendo. Il renoua avec le renom : une invitation au Marché des Arts et Spectacles Africains, MASA, à Abidjan où il enregistra un album à dose unique , comme il me l'expliqua. C'est-à-dire un enregistrement fait d'un trait sans trop de répétition. Car, Wendo était un vrai artiste qui se sentait à l'aise devant les microphones, les caméras et les podiums de télévision ou des productions musicales. Puis, quelques mois après, je les accompagnai à l'aéroport de Ndjili en route pour Mputuville (l'Occident) où il fut l'invité du Festival des musiques métisses, dit festival d'Angoulême en France . Albert Emima, Vula Missy, Bikunda Nzoku et Ngaila Bikunda, se sont produits en Belgique et en France. En effet, Bakolo Miziki d'Antoine Wendo, version rénovée de son ancienne Victoria Léopoldville , avait été ressuscité des cendres. Car, entre-temps, un autre admirateur de Wendo, Kester Emeneya, transfuge de Viva la musica, avait baptisé son nouvel orchestre Victoria Eleison . Les inséparables compères comme Albert Yemina, Vula Missy étaient secondés par les plus jeunes, Jean-Louis Bikunda Nzoku et Ngaila Bikunda et, à chaque production à Kinshasa, des danseuses adultes remplissait l'esplanade au point de lever une légende : le vieux recrutait aussi des danseuses, les critères étaient cependant aussi légendaires. J'étais le confident des contrats, des rencontres, des visites VIP, et, à chaque retour de ces périples, je rejoignais maman Nelly pour un verre et pour « recevoir ma part » de petit cadeau, comme il me chantait souvent : « Ozwi ovataka, ozwi omelaka, ozwi oliaka. Nani ayebi talo ya liwa na miso ya Nzambe mokonzi ? » (Tu devras porter de beaux habits lorsque tu en as l'occasion, tu dois manger et boire si tu trouves à manger et à boire. Qui peut vraiment parier sur le prix de la mort devant Dieu très haut ?). Wendo et ses amis confiaient souvent à propos de ma modeste personne : « Moto ayebi makambo yango tango tozalaka naino koyebana te, mwana oyo !» (Ce jeune homme en sait plus, lui qui fut des nôtres lorsque nous étions jetés dans les oubliettes de l'histoire.)
Mais, j'avais déjà d'autres chats à fouetter. J'avais quitté Radio Elikya pour un nouveau job au Nations Unies et n'avais plus mes pieds sur terre à Kinshasa. La dernière fois que je le vis sur scène, ce fut à la Halle de la Gombe. Il m'invita sur le podium. J'esquissai quelques pas de danses avec lui, puis dit quelques mots sur le microphone. J'avais des larmes aux yeux.
Un petit héritage…
Il m'avoua un jour, en demandant à sa femme de nous servir à manger et à boire :
« Nelly… à manger et à boire… Un jour je ne serai plus et peut-être que cet enfant se souviendra de moi, peut-être pas, comme tous les autres. Peut-être qu'il se souviendra de toi aussi. Pour le moment, à manger !»
Puis, il me parla de la mort :
« Je sais qu'elle arrivera un jour. Le matin, le soir, à midi ou la nuit pendant le sommeil. Une chose est sûre, j'irai tranquillement, sans avoir une dette envers quelqu'un et surtout sans une dette morale, puisque je n'aime pas avoir des querelles et mésententes avec des tiers. »
- Comment cela vous fait-il lorsque vous pensez à ceux qui ont vécu avec vous, vos amis d'enfance et de jeunesse…
« Paul Kamba… J'y pense beaucoup et je sais qu'un jour j'irai les rejoindre. Je les vois souvent en songe, ceux qui sont partis, d'où des chansons. Paul Kamba, Pépé Kallé, ma mère Albertina… Un seul conseil aux jeunes, n'allez jamais vous embrouiller avec des fétiches… Cherchez à découvrir votre talent et travailler. Mais, je resterai toujours affecté par la mort de Pépé Kallé. Ce fut un vrai fils pour moi. Il était spécial… »
- Et Dieu ?...
« Je crois en Dieu. Je suis chrétiens catholique. Je me suis marié religieusement avec ma femme Nelly. Certes, j'ai eu des problèmes avec des missionnaires catholiques puisqu'ils disaient « ce petit bandits rend pervers la jeunesse ». C'était avant l'indépendance, surtout après la sortie de Marie-Louisa. Mais, ce n'était pas moi, c'était les fans. Pour eux, Marie-Louisa ressuscitait les morts. Moi, je chantais seulement ? Je chantais la femme, la beauté de la femme et je grattais ma guitare et je faisais danser la Rumba… Pour le reste, je remercie toujours Dieu pour m'avoir donné des jours heureux, moi cet orphelin resté seul à Kinshasa, sans soutient. C'est merveilleux, n'est-ce pas. Je suis content puisque je suis au soir de ma vie. Beaucoup de mes amis n'ont pas eu des jours heureux et long comme moi.»
Entre deux gorgés de bière, lui qui buvait rarement, il se mit à psalmodier «Mabele, nani akolela Wendo » (La terre, qui enfin pleurera Wendo ?) :
« Ngai nakei n'Inongo na nsima nani akolela Wendo. Bobengana Maria aya kolela Wendo, se mabele, mwana mama. Mikolo na mikolo, se mabele. Mikolo na mikolo, baninga bakonzemba, wapi butu na moi baninga bakolelaka se mabele. Mikolo na mikolo, liwa na Wendo, nani akokunda ngai Wendo, mabele… Mikolo na mikolo, ngai na liwa, nawei. Ozwi olyaka, ozwi omelaka, ozwi ovataka, soki basombaka liwa na mbongo, bosomba liwa ya Wendo… Mabele… »
(Qui enfin pleurera enterrera Wendo qui meurt alors que je me retrouve en voyage à Inongo. Demandez à Marie de venir pleurer et porter le deuil de Wendo… la terre… Jour pour jour, c'est elle, la terre [qui avale les humains]… Qui enterrera Wendo au jour de sa mort ?... La terre… Un jour, j'irai et j'y pense jour et nuit… Manges si tu trouves à manger, bois si tu trouves à boire, portes des habits si tu trouves des habits à porter. S'il était possible d'acheter la mort avec de l'argent, je vous prierai d'acheter la mort de Wendo… La terre… »
Il me prit alors par la main et me dit :
« Du courage dans la vie. Ne jamais forcer la vie. Ne jamais partir chercher des fétiches auprès des féticheurs, de vrais menteurs et ils raccourcissent la vie. Respectez toujours les engagements pris et négociez bien les contrats, les riches sont des menteurs et des gourmands. Votre travail de journaliste, faites-le toujours avec conscience et utilisez votre talent. N'enviez en rien les succès des autres, le vôtre arrivera quand Dieu l'avait prévu. Ne prenez jamais de femme d'autrui, les hommes se tuent à cause des femmes alors qu'elles ressemblent toutes. Un homme bois toujours avec modération et un homme parle peu, écoute beaucoup. Quand aux politiciens, ils sont des messieurs à ne jamais avoir confiance. »
C'était la toute dernière fois…
Un cinéaste, Jacques Sarasin, a réussit cette année à l'immortaliser avec un film documentaire, après d'autres avant : « On the Rumba River. » Wendo laisse derrière lui de nombreux « Wendophiles » , comme l'écrit Manda Tchebwa. D'ailleurs, une expression est entrée depuis dans le jargon du Lingala des kinois (habitants de Kinshasa) : «ki Wendo » (à la manière de Wendo) signifie vivre ses moments de gloire au crépuscule de sa vie. Wendo devient le symbole de la patience et de l'assurance dans le talent et le destin. Wendo a battu le record de succès et de longévité dans la musique congolaise moderne. J'ai appris à ses côtés qu'il faisait un effort à vivre harmonie avec les autres, avec la nature, avec Dieu. Tous les témoignages le disent : il était pour tous un papa, un patriarche, le vrai roi de la Rumba.
Le roi (de la Rumba) est mort, vive le roi ! Paix à son âme.
Ecouter Mabele Norbert X MBU-MPUTU
Journaliste, Ecrivain et Chercheur
norbertmbu @yahoo.fr
Newport, (Pays de Galles, Royaume-Uni)
(NDLR. Les photos sont publiées sans autorisations préalables de leurs auteurs. Nous sollicitons leur indulgence. Ce dossier est un condensé de l'ouvrage à paraître en Français et en Anglais. Norbert X Mbu-Mputu, Antoine Wendo Kolosoy : Aux sources de la musique Congolaise moderne, condensé publié avec l'aimable autorisation de l'auteur. Lire aussi Norbert X Mbu-Mputu, « Marie-Louise de Wendo » in http://www.congovision.com/wendo.html ).
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