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« EST-CE QUE VOUS ETES VRAIMENT SERIEUX ? »

Norbertbeau.jpgLettre d’un oncle du village à son neveu de Mputuville
Par Norbert XSON Mbu-Mputu,

Journaliste, écrivain et chercheur - Newport (Pays de Galles, Royaume-Uni)

 

Cher Neveu,

Chaque jour qui passe apporte son petit lot des malheurs dans nos villages. Mais, chaque jour qui passe aussi, depuis que tu nous as envoyés cette petite radio, nous apporte aussi son lot d’étonnements lorsque le seul petit enseignant du village, le tout dernier qui nous reste, nous explique ce qui se diffuse dans vos radios à Mputuville. Nous commençons d’ailleurs à nous poser la question si les messieurs qui vivent à Mputuville, si les toubabs, les nouveaux toubabs, si vous autres nos fils et filles, si le Secrétaire Général de l’ONU, si au Quai d’Orsay, si à White Hall ou à Downing Street, si au Palais Royal à Bruxelles, si le nouveau jeune président Américain noire de peau comme nous - si c’est vrai ce que nous traduit notre seul enseignant - si toutes et tous, mêmes ceux non compris dans ces parenthèses, si vous avez encore réellement la tête au dessus de vos épaules.

Les sujets sont nombreux, mais laisses-moi aussi aujourd’hui m’atteler sur les viols, les fameux viols de nos femmes, vos fameux viols. Il semble que personne ne peut parler de notre pays, de nos villages, sans avoir son petit mot sur ces cas de viols. Et, ce qui nous agace le plus, est que vous vous posez la question, à Mputuville, ce qu’il faudra faire pour arrêter ces viols. Et, vraiment, nous nous posons la question si vous êtes vraiment sérieux, c’est-à-dire si vous, avec vos têtes, vos neurones, vos diplômes, vos longs français et vos anglais d’Oxford et Cambridge, vous ne pouvez pas avoir de l’imagination pour stopper ces viols…

Vous nous faîtes rires et heureusement que nous savons que vous n’êtes pas sérieux. En tout cas, personne au village ne vous prend au sérieux. Surtout lorsque nous voyons ces petits et nouveaux casque-bleus que vous nous avez saupoudrés dans nos villages comme une nuée des sauterelles. Les viols se passent sous leurs nez et leurs barbes, à côté de leurs camps, le jour, la nuit, et, comble de misères, il semble qu’eux aussi, tout comme vous de Mputuville, vous continuez à chercher comment les arrêter, ces viols… Est-ce que vous êtes, vous tous sérieux ?...

Vingt ans, trente ans, dans nos villages, dans ce pays, nous ne connaissions pas ces viols. Des années avant, dans ces frontières, nous ne connaissions pas ces cas d’ignominies et d’incongruités inhumaines. Ils ont commencé un jour, quelque part et vous savez comment et par qui. C’est la guerre qui nous a apporté les viols, les tueries, les égorgés, les massacres, les génocides, les enterrés vivants et que sais-je encore.
Est-ce que vous êtes vraiment sérieux ?...

Puisqu’il semble encore que vous vous bagarrez sur les mots, la différence entre génocide, tueries, massacres… et que vous vous battez encore et encore sur les chiffres, sur le nombre. Laissez-moi vous dire d’ailleurs que tous vos chiffres sont faux et archifaux. Car, ils sont des chiffres ronds. Toute vie humaine ayant égale valeur… Que deviennent nos morts qui ne sont pas dans vos chiffres ronds qui se terminent toujours par des zéros ?

Donc, nous vous prions honnêtement de vous taire désormais. Laissez-nous rechercher nos propres solutions à nos malheurs et à nos misères. Nous ne sommes plus dupes et nous savons que vous ne cherchez en rien la fin de nos viols. Sinon, vous auriez tout simplement battu et combattu pour la fin de la guerre. Un point. Un trait. Est-ce sorcier de dire que c’est la guerre qui est à l’origine de tout et que c’est elle et elle seule qui est la source de nos misères et de nos malheurs et de nos viols et qu’en l’arrêtant vous arrêterez tout et tout et tout ?

J’espère d’ailleurs que ce petit bonhomme d’enseignant écrit ce que je lui dicte. Hélas, je doute que ses égratignures noires sur ce papier blanc traduisent ma colère, ma rancœur, mes larmes, le mouvement de mon chasse-mouche…

Je te demande de faire arriver cette lettre au Secrétaire Général de l’ONU lui-même. Cela veut dire comme nous le faisons au village, de main à main, après l’avoir regardé, face-à-face. Après lui avoir expliqué, de bouche à oreilles, son contenu. Nous ne te demandons pas de la remettre à son épouse, à son beau-frère ou à son gendre, mais à lui-même. Nous te demandons d’aller voir aussi, en personne, ce nouveau président des Etats-Unis dont on nous dit dans les villages qu’il est né d’un père de la tribu voisine à la nôtre. Lui remettre aussi une copie de notre lettre, après lui avoir expliqué de son contenu, au besoin de la lui lire à haute voix. Son Palais n’est tout de même pas au ciel pour que vous ne puissiez pas y arriver ! Nous vous demandons d’aller voir les messieurs de l’Elysée, la Reine du Buckingham Palace ou tout autre monarque ayant le monde comme village. Vous n’allez pas nous faire croire que malgré vos longues et hautes études, vous ne pouvez pas parler le même Français, le même Anglais, le même Portugais qu’eux et que devant eux vous tremblez de frayeur et de peur ! D’ailleurs, vous n’êtes que des simples envoyés. Et nous vous demandons de réclamer, pour nous, une réponse verbale et écrite à ne pas envoyer par voix diplomatique. La diplomatie de chez nous est morte et enterrée depuis belle lurette. La diplomatie de chez nous, depuis qu’elle est toujours occupée par des messieurs qui ont fait des bâtards avec la guerre, titube, elle bégaye. La diplomatie de chez nous n’a plus ni pattes pour se tenir debout, ni tête pour lorgner le ciel. Il faudra l’oublier tout simplement…

Allez leur poser seulement une question, la seule d’ailleurs ; pas deux ou trois questions, car ils ont d’autres chats et chattes à fouetter que de s’occuper jours et nuits de nos misères et de nos malheurs ; leur poser seulement une question, celle que nous leur posons des villages : est-ce qu’ils sont encore et vraiment sérieux ? Si ce sont eux qui ont envoyés ces nouveaux messieurs de l’ONU, alors posez-leur cette seule question : sont-ils seulement et encore sérieux ?

Cette seule question aussi, nous voudrons que vous tous, nos fils vivant loin de nous à Mputuville, vous puissiez nous répondre aussi à la même question : êtes-vous encore et vraiment sérieux ?

Est-ce difficile pour le monsieur de la Maison Blanche de prendre son téléphone cellulaire qu’il ne lâche jamais, nous a-t-on dit, et de parler à tous ces bandits de nos pays, de les gronder, de les sermonner, de leur intimer l’ordre d’arrêter de faire la guerre ! Est-ce difficile ?... L’a-t-il déjà tenté tout au moins ? Lui est-il déjà venu en tête l’idée de le faire tout au moins ? Un de ses nombreux secrétaires et conseillers, lui a-t-il une fois au moins venu à l’esprit cette idée-là ? Qu’il essaye de le faire au moins. Mais, s’il est sérieux, le monsieur et sa ribambelle de conseillers et experts, et s’il voudra que nous autres dans les villages nous puissions croire, cette fois-ci au moins, qu’il est vraiment sérieux, qu’il fasse ces appels à ces petits bandits des rues, des forêts et des savanes de chez nous, en direct à la télévision et sur des ondes de radios, en nous prenant tous à témoins, ainsi, nous verrons si la guerre ne va pas s’arrêter.

S’il ne le fait pas, si les messieurs de l’ONU ne le pousse pas à le faire, si vous n’arrivez pas à lui faire arriver ce message, alors, stoppez net et, comme un homme qui entend le pet de sa belle-mère, taisez-vous et arrêtez de nous boucher les oreilles en prétendant que vous vous peinez pour nos viols.  Car, dans les villages, nous savons que tous vous n’êtes pas sérieux…

Est-ce sorcier de savoir que c’est la guerre qui nous a apporté son lot de malheurs : les viols, les égorgés, les génocides et les génocidaires, les tueurs et les tueries… Et qu’en l’arrêtant, les autres et cætera disparaitront !
Comment osez-vous affirmez, main dans le cœur, que vous voulez et que vous allez déraciner un arbre géant, mais que vous allez commencer d’abord par couper ses feuilles géants avec une paire des ciseaux… Est-ce que vous êtes encore et vraiment et seulement sérieux !
Ton autre oncle cadet Le Serpent de rail, mon propre petit frère, te salue ! Portes-toi bien.
Ton oncle, chef coutumier et doublement médaillé,

Nd’Ayon Bî, Le Secret du Tombeau.

October 17, 2010

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