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Henri Hockins Kadiebwe : « Tout Congolais qui a combattu l'action salvatrice de Laurent-Désiré Kabila est un traître à la nation »

Henri Hockins Kadiebwe est l'un de ces Congolais que l'on appelle les doyens. Il arrive en Belgique en 1958, deux ans avant l'accession de son pays, l'actuelle République démocratique du Congo, à l'indépendance. Il a, à l'époque, à peine 14 ans. Il fait naturellement ses classes en Belgique. Etudes secondaires, sciences sociales à l'université libre de Bruxelles, mais pour des raisons inexpliquées, le pouvoir mobutiste décide de lui retirer la bourse d'études. Il doit désormais bosser dur pour financer ses études, mais la vie n'est pas facile et il décide d'arrêter. Les temps sont durs. Il a une épouse et un enfant dans les bras et il faut les faire vivre. Il se lance dans les affaires et rachète la célèbre boite de nuit le « MAMBO » qui deviendra le rendez-vous de tous les noceurs et mobutistes en vadrouille en Europe. Petit à petit, il apprend à connaître cette race de flambeurs; certains d'entre eux deviendront même ses confidents, le temps d'une soirée bien arrosée. Les Mokolo wa Pombo, Ngbanda, Atenda, Niwa Mobutu et autres y installeront leurs pénates. De façon permanente. Le vieux Henri du « MAMBO », lumumbiste de première heure, a décidé de parler politique et de dénoncer les vendus.       

Tshimakinda Gervais

Bruxelles, le 30 août 2005

Question  : Dans quelques mois, le peuple congolais sera appelé à choisir ses futurs dirigeants dans un scrutin libre et indépendant. Mais certains politiciens, sous divers prétextes, appellent la population à boycotter et à saboter l'opération «identification et enrôlement ». Quelle est votre opinion par rapport à ce comportement ?  

Henri Hockins Kadiebwe  : Il s'agit de quelques individus en mal de positionnement politique. Ces gens qui parlent au nom du peuple congolais dans sa globalité sont en réalité en quête de postes et abusent du concept « peuple ». Actuellement , le pays a un problème crucial : le système un président et quatre vice-présidents. Un système compliqué mais voulu par ceux qui ne veulent pas voir le Congo se relever. D'où, les couacs prévisibles que connaît le processus de transition. Mais curieusement, il y a un acharnement sur le seul président Joseph Kabila; tout le monde ou presque prétend qu'il n'est pas Congolais sans apporter la moindre preuve de cette grave accusation. Ce qui est malhonnête et vicieux, c'est que personne ne pointe du doigt Azarias Ruberwa, par exemple, dont on nous dit qu'il est tantôt Rwandais, tantôt Burundais. Il y a donc certains partis politiques qui veulent créer la confusion et le doute dans l'esprit des Congolais pour les empêcher de se faire identifier et de s'enrôler. Un Congolais authentique doit, à mon avis, se faire identifier et enrôler pour qu'on sache exactement qui il est. Et quand il donnera sa voix, celle-ci aura une valeur.

Question  : Parmi ceux qui mènent cette croisade contre le gouvernement de transition et le processus électoral, il y a l'ancien mentor de Mobutu : Ngbanda Nzambo Ko Atumba. Croyez-vous à sa profession de foi selon laquelle il serait l'homme qui instaurerait l'Etat de droit, la bonne gouvernance et réconcilierait les Congolais ?

« Ngbanda était l'un des dirigeants des services de sécurité dont la réputation fait froid au dos »

Herni Hockins Kadiebwe  : M. Ngbanda a travaillé pour Mobutu et son régime criminel pendant plus ou moins vingt ans. Il était l'un des dirigeants des services de sécurité dont la réputation donne froid au dos. Il a même été surnommé « Terminator ». M. Ngbanda a écrit deux livres « Ainsi sonne le glas » et « Crimes organisés en Afrique centrale : révélations sur les réseaux rwandais et occidentaux ». Il a plus ou moins parlé de tout le monde, sauf de lui-même. Il faudra qu'il nous dise un jour sa part de responsabilité dans le gâchis congolais dont nous subissons aujourd'hui les terribles conséquences, au lieu d'accuser seulement ses collègues du système.

Question  : Et pourtant, vous l'aviez rencontré…

Henri Hockins Kadiebwe  : Après la condamnation de Kalume et ses collègues à mort et l'assassinat de Kanyonga, les activités de notre parti, le MARC (Mouvement d'action révolutionnaire pour la république) avaient connu un véritable coup d'arrêt. Le MARC était très affaibli et nous étions complètement désorientés, car le grand meneur avait brusquement disparu. Ngbanda a cru certainement que le moment était venu pour tenter de me récupérer. Il m'a proposé, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, de travailler pour ses « services ». J'ai bien entendu dit non. J'avais à l'époque ma boite le « Mambo » et tout le monde savait que j'étais un anti-régime Mobutu. Dépité par mon refus, Ngbanda dira textuellement à Niwa : « Tala bolole ya Muluba oyo : voyez-moi cet idiot de Muluba ». Il a fait de mon refus une affaire des Baluba. Mon refus n'a pourtant rien à voir avec mon appartenance tribale. Je suis Congolais, lumumbiste et très fier de l'être. Trahir mon pays et mes compatriotes, c'est me trahir moi-même, voilà pourquoi j'ai dit non et je dirai toujours non à la trahison des intérêts de mon pays. Mon ami Pierre Kanyonga (co-fondateur du parti de l'opposition le MARC : Mouvement d'action révolutionnaire pour la république) venait d'être assassiné (1978) ici à Bruxelles au même moment où Ngbanda trônait comme chef d'antenne de la sécurité à l'ambassade. Il peut écrire tout ce qu'il veut, je n'achèterai jamais ses livres.

Question  : Où et dans quelles circonstances la proposition de travailler pour les « services » vous était-elle faite ?

Henri Hockins Kadiebwe  : Niwa Mobutu fréquentait le « Mambo » et l'une de mes cousines était sa copine. C'est de cette façon que se sont noués nos rapports. Marie-Antoinette Mobutu envoyait de l'argent au « Mambo » et c'est là que Niwa venait le chercher. Il y en avait pour 300 à 500.000 francs belges qu'il flambait en quelques jours et le scénario recommençait. Ngbanda m'a donc reçu par l'intermédiaire et l'insistance de Niwa, juste après l'assassinat de Kanyonga. Mais malgré les assurances de Niwa, j'avais peur, car l'homme n'inspirait pas confiance. Avant d'y aller, j'ai informé le ministère belge des Affaires étrangères, et à cette époque c'est M. Simonet qui était ministre. La rencontre s'est déroulée au 9 ème étage de l'hôtel Hilton. Comme je vous l'ai déjà dit, j'ai refusé de travailler pour un pouvoir criminel et corrompu. La preuve est là : nous subissons aujourd'hui l'humiliation de la part des peuples qui craignaient autrefois le Congo à cause justement de leur gestion calamiteuse du pays pendant trois décennies.

Question  : Pouvez-vous dire à l'opinion congolaise ce que Ngbanda avait mené comme actions à l'époque où il fut chef d'antenne de la sécurité à Bruxelles ?

« C'est lorsque Ngbanda trônait comme chef d'antenne de la sécurité à l'ambassade à Bruxelles que Kanyonga a été assassiné »

Henri Hockins Kadiebwe  : En peu de temps, notre parti le MARC avait tout bousculé et Mobutu avait réellement senti que son régime était menacé. Mobutu étant devenu trop arrogant vis-à-vis de la Belgique, les dirigeants belges de l'époque cherchaient quelqu'un pour secouer le régime, si pas remplacer carrément le potentat. Le MARC était donc devenu très important, ses dirigeants reçus partout et surtout par les médias, notamment la RTBF. Pierre Kanyonga faisait de grandes déclarations et pour tout dire, nous étions très bien organisés, et du point de vue politique nous travaillions sérieusement. A l'époque, Luambo Makiadi est venu à Bruxelles avec une trentaine de musiciens. Parmi eux, il y avait des gens qui n'avaient rien à voir avec la musique. C'est pendant cette période que Kanyonga a été assassiné. On me demandera des preuves; la Belgique elle-même n'a jamais mené une enquête sur cet odieux assassinat. Je dis bien qu'il n'y a jamais eu d'enquête.

Question  : Quelques semaines avant cet assassinat, vous aviez été suivis par des agents des services de sécurité zaïrois jusqu'à Paris. Ces derniers avaient, dites-vous, mission de vous assassiner, Pierre Kanyonga et vous-même. Pourquoi ne sont-ils pas passés à l'acte ?

Henri Hockins Kadiebwe  : Certains agents des services de sécurité zaïrois gérés à Bruxelles par Ngbanda m'ont avoué un jour au « Mambo » qu'ils nous avaient filés lors d'un voyage en France avec mission de nous abattre. C'est la présence de mon épouse belge dans la voiture qui nous a sauvé la vie. Après un verre de trop, ces agents me diront que notre voiture étaient encadrée par deux voitures, l'une devant l'autre derrière. Comme ils l'avoueront, nous n'avions aucune chance de leur échapper. Ils nous auraient tiré dessus là où l'autoroute donnait sur un ravin et auraient précipité la voiture pour camoufler le crime. Ils me l'ont froidement dit au « Mambo », un soir. Les agents avaient demandé à l'ambassadeur de l'époque, M. Inonga Lokonga Lome, ce qu'ils devaient faire. Ce dernier leur a demandé à son tour : à combien sont-ils dans la voiture ? Les agents ont répondu que nous étions à trois : Kanyonga, mon épouse et Henri du « Mambo », c'est-à-dire moi. La présence de mon épouse belge a dissuadé l'ambassadeur et il a décidé de stopper la machine mortelle. C'est de cette façon que nous avons eu la vie sauve. Malheureusement, deux mois plus tard, Kanyonga a été assassiné.

Question  : Avez-vous une idée de la façon dont le crime a été commis ?

Henri Hockins Kadiebwe  : Pierre Kanyonga était armé. Il avait sur lui un pistolet en permanence. Mais la question est de savoir s'il était capable de se défendre contre des agents si bien formés. Cette nuit-là, il a dormi chez sa maîtresse, Irène, une métisse. Elle était enceinte. Etait-il attiré dans un traquenard ? Je n'en sais rien. Toujours est-il que nous l'avions cherché pendant toute la journée sans savoir où il était et ce qu'il avait fait pendant la journée. Quelques jours auparavant, j'ai eu un grave incident au « Mambo ». Pendant que je dansais avec la copine de Niwa Mobutu qui est venue fêter son anniversaire, un malabar m'a planté un revolver sur la tempe avec injonction d'arrêter la danse, sinon il me descendait sans autre forme de procès. C'est la fille qui m'a sauvé la mise en intimant l'ordre à cet affreux de déguerpir. Le lendemain, il était renvoyé à Kinshasa, m'a-t-on dit.

Question  : Vous décrivez là un climat de terreur. Peut-on dire que cela était lié à la présence particulière de Ngbanda, ou était-ce la terreur habituelle qui caractérisait le régime ?

Henri Hockins Kadiebwe  : Le régime a commencé par frotter les manches aux étudiants avec des bourses octroyées de façon discriminatoire. Avec le temps, on s'est rendu compte qu'entre ce que Mobutu disait et ce qu'il faisait il y avait un gouffre énorme. L'UGEC (Union générale des étudiants congolais) est née et les protestations contre la gestion calamiteuse du pays ont commencé. Pour casser l'UGEC, Mobutu a d'abord créé le CVR (Corps des volontaires de la république), et ensuite la JMPR (Jeunesse du mouvement populaire de la révolution). Tous les étudiants devaient faire partie de cette structure étroitement contrôlée par les sbires du pouvoir. Mais certains étudiants ont refusé d'en faire partie. Les rebelles créeront le MARC.

Question  : Avez-vous personnellement vécu une violence particulière ?

Henri Hockins Kadiebwe  : L'assassinat de Kanyonga, les agressions physiques dont étaient victimes ceux qui n'avaient pas adhéré à la JMPR étaient courantes à Bruxelles. La situation s'est effectivement aggravée avec l'arrivée de Ngbanda comme chef d'antenne de la sécurité à l'ambassade à Bruxelles, c'est évident. Il faut avouer que nous étions traqués.

Question  : Cela se passe quand exactement ?

Henri Hockins Kadiebwe  : Particulièrement pendant les années 77-78-79-8O. C'était le règne de Ngbanda. C'est lui qui s'occupait des étudiants, c'est-à-dire des bourses d'études. Il occupait le Centre culturel qui était la couverture de l'antenne de la sécurité.

« Les agents déguisés en musiciens qui ont sans aucun doute assassiné Kanyonga ont reçu l'ordre de quelqu'un, n'est-ce pas ? »

Question  : Peut-on parler de l'implication directe de Ngbanda dans la terreur ambiante à l'époque à Bruxelles ?

Henri Hockins Kadiebwe  : Quand on conçoit et on donne l'ordre d'appliquer, on s'impliquer, non? Y a-t-il pire qu'un concepteur et donneur d'ordre dans ce genre  de situation ? Al Capone et Mobutu n'ont jamais commis de leurs mains les crimes qu'on leur reproche, mais ils en sont les véritables auteurs pour les avoir commandités. Ngbanda a joué le rôle de chef d'antenne : concevoir et faire appliquer. Les agents déguisés en musiciens qui ont assassiné Kanyonga ont reçu l'ordre de quelqu'un, n'est-ce pas ?  Qui donnait les ordres aux agents exécutants ici  à Bruxelles?

Question  : Vous aviez été condamné à mort par contumace dans le procès Kalume-Panubule. Quel lien aviez-vous avec le major Kalume ?

Henri Hockins Kadiebwe  : Le major Kalume était un ami d'enfance. En 1978, ils étaient de passage à Paris avec le général Likulia en partance pour l'Argentine. Il m'a téléphoné de Paris et c'est lors de ce voyage avec Kanyonga et mon épouse que nous étions filés par les sbires du pouvoir. L'un d'eux, un Mutetela, m'avait avoué que nous l'avions échappé belle grâce à la présence de mon épouse belge. De l'Argentine, le major Kalume m'a appelé pour m'annoncer qu'il passera par Bruxelles. Une fois à Bruxelles, il a demandé à voir l'opposant Monguya. Nous sommes allés à Liège rencontrer Monguya. Ensemble avec ce dernier, nous sommes allés visiter la Fabrique Nationale (FN), l'usine belge qui fabrique les armes à Herstal. A la FN, on a offert un cadeau au général Likulia par l'intermédiaire du major Kalume : une mitraillette. Le major a même été arrêté à l'aéroport Charles de Gaulle à cause de cette arme; le général Likulia est intervenu en disant que l'arme était à lui. Arrivés à Kinshasa, Kalume et les autres ont été arrêtés. Lors du procès, nous nous sommes tous retrouvés sur la liste des complices de Kalume. Mais trois jeunes officiers dont Kalonda ont été tués pour rien ; leurs noms se sont retrouvés dans l'agenda de Kalume pour des raisons autres que cette affaire. Le colonel Kalonda était juste le parrain de l'un des enfants de Kalume. Je me souviens avoir rencontré, cette même année 1978 à Paris à l'hôtel Carlton, le général Likulia, leur chef de mission; il avait le livre de Jules Chomé (L'ascension de Mobutu : du sergent Joseph-Désiré au général Sese Seko) interdit au Zaïre. J'ai compris après que Kalume et ses compagnons étaient piégés.  Il faut dire que les « services » fonctionnaient à plein régime à cette époque (1997-1998-1999) à Bruxelles.

« Au téléphone, Mobutu m'a dit que nous intervenions trop tard : Kalume et ses compagnons avaient été exécutés à l'aube »

Question  : Vous aviez été associé dans la tentative de sauver Kalume et ses compagnons d'infortune…

Henri Hockins Kadiebwe  : Le ministre belge des Affaires étrangères, M. Simonet, a fait appel à Niwa afin qu'il intervienne auprès de son père en faveur des condamnés.  Les dirigeants belges estimaient que ces jeunes officiers, des techniciens et ingénieurs parmi les meilleurs formés ici, ne méritaient pas ce terrible sort. Ils demandaient qu'ils soient condamnés à 15, 20 ans de prison par exemple. Niwa est venu me voir et m'a demandé d'associer ma voix à la sienne. Je suis allé à l'ambassade avec mon épouse belge sous la couverture du ministère belge des Affaires étrangères. Il y avait là l'oncle Litho, l'ambassadeur Inonga, Niwa, mon épouse et moi. Niwa a même demandé à Litho de parler à Mobutu en Ngbandi. Et puis est venu mon tour. Mobutu me dira que c'était trop tard, les condamnés avaient été exécutés à l'aube. Quand M. Simonet l'a appris, il est entré dans une grande colère. Il n'a pas supporté cet acte barbare. Mobutu de son côté a demandé le départ de Simonet du gouvernement. Je vous avoue que j'ai vécu un moment terrible.

Question  : Comment fonctionnaient ces services ?

Henri Hockins Kadiebwe  : On achetait les gens. C'était une corruption à grande échelle. Beaucoup d'étudiants non boursiers faisaient partie des réseaux de renseignement. C'est de cette façon que ces mouchards arrondissaient leurs fins de mois. Il y en a qui ne s'en cachaient même pas. J'en ai connu beaucoup mais je préfère taire les noms.

« Si les Bana Congo travaillent effectivement avec Ngbanda, c'est que ce dernier se sert d'eux et les manipule »

Question  : Il semblerait que Ngbanda travaille actuellement avec les « Bana Congo » ?

Henri Hockins Kadiebwe  : Si telle est la vérité, je plains ces gens. Ils sont sans aucun doute utilisés sans le savoir. Qui sont les « Bana Congo » ? Des jeunes gens qui, dans leur majorité, ne comprennent rien à la politique. Certains sont d'ailleurs des « sans-papiers » qui font beaucoup de bruits pour attirer l'attention des autorités belges sur eux. On sait que depuis quelques années, pour les Congolais particulièrement, obtenir les papiers de séjour est devenu un véritable parcours du combattant dans ce pays. Certains pensent qu'en faisant des bruits, cela résoudrait leur problème. Comme beaucoup d'entre eux ne comprennent rien aux événements, des gens comme Ngbanda en profitent certainement pour les manipuler et se servir d'eux. Ngbanda a les moyens pour. Que représentent les « Bana Congo » ? Rien, aucune idée politique, aucune organisation structurée, à part la grande gueule, les mensonges, les insultes et la violence gratuite.

Question  : Contrairement à Mobutu qui avait assassiné presque tous les leaders nationalistes de la rébellion de l'époque, aujourd'hui la RD Congo se retrouve avec des chefs « rebelles » au sommet du pays. Comment entrevoyez-vous le futur électoral dont l'opération « identification-enrôlement » est en cours ?

Henri Hockins Kadiebwe  : Je suis convaincu que, quoi qu'il arrive, il y aura des élections même imparfaites. Mais la question est de savoir : est-ce que les élections vont résoudre les problèmes du Congo ? Selon mon analyse, le problème fondamental du Congo demeurera entier, pour la simple raison que l'on fait faire aux Congolais ce qu'ils n'auraient pas fait s'ils devaient décider seuls et librement de leur destin. Toutes les solutions qu'on a imposées aux Congolais n'ont qu'un objectif : la sauvegarde des intérêts étrangers au Congo. Là-dessus, nous ne sommes pas dupes. Les étrangers ont trimbalé les Congolais partout dans des négociations qui avaient pour seul but de leur imposer des gens qui ont pour unique objectif de garantir ces intérêts étrangers, point barre. Bemba et sa clique de traîtres nous ont été imposés par l'Ouganda et ses parrains, le RCD de Ruberwa est, comme on le sait, une affaire rwandaise…Où se trouvent les intérêts du Congo dans cet attelage créé à l'étranger, par les étrangers ? Y a-t-il des Congolais dedans ? Nous savons que, comme le « Groupe de Binza » en 1960, ces gens sont des vendus, achetés par l'étranger. A quoi aspirent les Congolais aujourd'hui ? Que l'intégrité de leur territoire soit garantie, que leur pays recouvre sa souveraineté et son indépendance. Mais surtout, que la paix véritable soit restaurée pour que les gens travaillent et reconstruisent. Aurons-nous la paix quand Karel De Gucht nous annonce à l'avance que les perdants aux élections devront faire partie des institutions post-électorales ? J'en doute, car il est clair que les faiseurs habituels des malheurs du Congo sont décidés à ne pas laisser notre pays se relever. Où a-t-on vu, dans un système démocratique et après des élections libres et démocratiques, les vainqueurs obligés d'associer les perdants dans l'exercice du pouvoir ? Dans une démocratie, quand un parti gagne les élections mais n'a pas la majorité, il s'allie à d'autres partis avec lesquels il partage la même vision politique et idéologique. Comment voulez-vous associer des gens avec lesquels vous ne partagez rien en commun : ni la vision politique et idéologique, ni le programme économique et social ? A quel résultat peut-on aboutir dans des institutions où certains animateurs passeront leur temps à contester les autres et à contrecarrer leurs initiatives ? Ne voit-on pas ce que donne cet amalgame dans les institutions de transition ? Non, on se moque des Congolais, on nous prend pour des enfants.

Question  : Quand on écoute les propos de Karel De Gucht, on comprend le genre de rapports qui lient les pays du Nord aux pays du Sud. Comment entrevoyez-vous nos futures relations avec la Belgique ?

« Quand les choses ne marchent pas dans un couple, dans une association d'intérêts ou dans une alliance, la sagesse commande de se séparer, ne serait-ce momentanément »

Henri Hockins Kadiebwe  : Quand les choses ne marchent pas dans un couple, dans une association d'intérêts ou dans une alliance quelconque, la sagesse voudrait que l'on se sépare, ne serait-ce momentanément. Quand de jeunes gens comme Karel De Gucht et d'autres se permettent de donner des leçons à des gens comme Gizenga, Bomboko, Kamitatu…je me dis que les Belges, dans leur majorité, continuent de prendre les Congolais pour de pauvres enfants, une quantité négligeable. Je trouve cela scandaleux et les Congolais doivent en faire leur préoccupation. Les Congolais sont condamnés à se prendre en charge. C'est une question de vie ou de mort. Il y a bien sûr des gens qui disent que si le Congo va voir ailleurs, la Belgique influencera les pays occidentaux et ces derniers nous fermeront leurs portes. Si tel est le cas, pourquoi ne pas aller voir ailleurs justement ? Le monde a complètement changé. La technologie, on peut en trouver partout. En 1960, quand nous sommes arrivés ici, il y avait des coups d'Etat chaque deux semaines en Amérique latine. Les Etats-Unis y foutaient le bordel. Aujourd'hui, les pays de l'Amérique latine sont en train de s'émanciper, et cela ne se donne pas ; il faut se battre et l'arracher.

Question  : Les mobutistes et ceux qui se disent « opposants » mènent une campagne où ils veulent faire croire que Kabila serait responsable de la ruine du pays et de la misère des Congolais. Qu'en pensez-vous, vous qui l'avez connu et qui l'a vu travailler ?

« Tout Congolais qui a combattu l'action salvatrice de Laurent-Désiré Kabila est un traître à la nation »

Henri Hockins Kadiebwe  : Je le dis et je le maintiendrai contre vents et marées : tout Congolais qui a combattu l'action salvatrice de Kabila est un traître à la nation. Je ne dis pas que Kabila était parfait, ni son action d'ailleurs. Mais de là à combattre l'action qu'il a menée dans un pays complètement ruiné, détruit, appauvri à l'extrême, c'est un pas que les vendus ont franchi allègrement comme d'autres en 1960. Quand Kabila est arrivé, les caisses de l'Etat étaient scandaleusement vides; l'inflation était, disait-on, de plus de 8000%. Tout le monde s'était servi et s'en était allé faire la fête en Occident. De ce néant, Kabila a accompli avec brio une réforme monétaire, ramené l'inflation à 15% et stabilisé les prix. Il a mis en place un service national, récupéré les enfants de rue et les a installés au plateau de Bateke. Du jour au lendemain, ils ont inondé les marchés de Kinshasa en produits frais : maïs, manioc, riz, légumes, fruits en tous genres et en toutes saisons. Ces jeunes gens étaient payés et on a vu s'instaurer petit à petit l'autosuffisance alimentaire, car le maïs, le riz …n'étaient plus importés comme autrefois. Les salaires des fonctionnaires et des militaires, bien que modestes, étaient régulièrement payés, alors que sous Mobutu ces mêmes fonctionnaires alignaient jusqu'à trois ans d'arriérés de salaire. La ville de Kinshasa devenue Kin-la-poubelle a commencé à s'embellir grâce aux cantonniers payés par l'Etat. Les gens ont recommencé à payer leurs impôts, l'eau et l'électricité. Ce sont là les devoirs d'un citoyen que les Congolais avaient oubliés depuis belle lurette. Qui aurait fait mieux ? Nous avons vécu tout cela. Il l'a fait en une année, sans aide extérieure, sans contracter une seule dette. 

Question  : Où sont alors passés ces acquis ?

Henri Hockins Kadiebwe  : Cette évolution ne pouvait pas plaire aux maîtres du monde. On lui a fait la guerre en utilisant les Etats mercenaires, le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi, avec la complicité d'éternels traîtres congolais. L'effort de guerre a naturellement anéanti tous les acquis économico-sociaux. La propagande anti-Kabila a commencé ici : on a refusé de lui serrer la main, on le recevait sans le recevoir…Quant à savoir quel crime Kabila avait commis pour mériter ce traitement, disons-le, raciste…personne, ici, ne nous l'a encore expliqué. Mais nous ne sommes pas dupes : ils avaient senti que s'ils laissaient faire Kabila, le Congo était parti et qu'ils n'auraient plus aucune emprise sur cette poule aux œufs d'or. Kabila est alors devenu l'ennemi des Occidentaux et de certains de ses propres compatriotes, des vendus. Kabila a été assassiné par une main congolaise armée par les Occidentaux. Comme Lumumba. Et qui a annoncé sa mort ? Le ministre belge des Affaires étrangères en personne avec une satisfaction à peine voilée, en disant : « Nous avons la certitude que Kabila est mort ; nous avons nos agents sur place ». Ceux des Congolais qui pensent que le développement de ce pays et le bonheur de ce peuple viendront de l'Occident font montre d'une idiotie et d'une servilité impardonnables.

Propos recueillis par T shimakinda Gervais


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
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