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Interview : Professeur Wamba dia Wamba à Congo Vision

Congo Vision : Comment conciliez-vous votre carrière professionnelle à l'activité politique?

Wamba dia Wamba : Je crois que même les académiciens ont des obligations civiques. J'ai toujours été un académicien engagé très attentif aux luttes démocratiques depuis l'école secondaire. Il m'est insupportable de me contenter d'être dans mon petit coin faisant la science même quand tout le bateau est en train de couler. J'essaie tant bien que mal de concilier ces préoccupations. Je continue de lire et d'écrire. A DSM, on continue de me demander de donner des seminaires ou des conférences sur les questions spécifiques. Dernièrement, j'ai parlé de l'Ontologie aux étudiants de philosophie.

Congo Vision : En faisant une retrospective de votre vie politique, pensez-vous avoir commis des erreurs?

Wamba dia Wamba : L'erreur, surtout quand on la reconnaît, a valeur épistémologique pour refonder ce qu'on voulait faire. J'avais réellement cru que le régime Rwandais qui a stoppé le génocide doit être très attentif aux exigences démocratiques. On s'est aperçu sur terrain que les victimes peuvent devenir des boureaux eux-mêmes .

Congo Vision : Quel est le meilleur souvenir de votre vie politique?

Wamba dia Wamba : C'est peut-être le séjour de prison souterraine de l'OUAII. Les prisonniers qui s'appuyaient sur moi et les leçons que je donnais là-bas. Mais aussi le travail au ministère des Affaires Sociales, du Travail et de l'Habitat sous la direction d'une femme. A Bunia, la décision et l'application de la commission présidentielle d'Inspection générale pour contrecarrer le pillage des ressources.

Congo Vision : Mr. Wamba, n'y-a t-il pas lieu de croire que tous les efforts conjugués jusqu'à présent pour sortir le Congo de son chaos socio-économico politique ne sont que poursuite des vents?

Wamba dia Wamba : Nous devons nous entendre sur les efforts conjugués dont il est question. Depuis le gouvenement de Lumumba qui était formé de façon plus ou moins démocratique et avait une vision claire de la nécessité d'éradiquer les conditions coloniales de la vie et de jeter des bases d'une indépendance réelle, on n'a jamais plus eu que repression et destruction du pays par pillage des ressources et négligence d'une part et tentatives de renverser les régimes repressifs d'autre part.

On n'a jamais reussi, depuis le renversement du régime Lumumbiste, une transition démocratique. La pauvreté et la paupérisation de la population congolaise sont dues au fait que la population n'a aucun contrôle sur l'utilisation et le développement des ressources du pays. C'est cela la question centrale de la légitimation du pouvoir. Le peuple n'a aucun moyen d'imposer aux dirigeants compradores un parternariat équitable avec l'Etranger; d'énormes ressources sont créées au Congo, mais elles sont acheminées ailleurs sans laisser grand chose ne fut-ce que pour l'entretien du pays et de ceux qui les produisent.

Le pays est en état d'esclave; la dette est un esclavage-- dit le proverbe Kongolais. Nous devons plus de 14 milliards de dollars depuis Mobutu, il n' y a rien à montrer dans le pays où était parti l'argent et le peuple n'avait aucun moyen de responsabiliser ceux qui emprentaient cet argent ou leur exiger de faire les comptes. Le résultat c'est que le pays est pris en otage. Tous le programmes de développement, de la Banque Mondiale à celui de Harvard concernant notre pays ne met jamais la population au centre des préoccupations. Il faut donc repenser la nature des efforts qu'il faut déployer pour reconstruire notre pays.

Congo Vision : Ne croyez-vous pas qu'une cohésion nationale pour défier nos maux et nos dévastateurs exige un retour et recours aux philosophies politiques traditionelles qui feraient que chaque région se défende et s'organise pour enfin apporter le meilleur d'elle-même pour un comfort national?

Wamba dia Wamba : Même s'il était question des philosophies politiques, il n' y a aucune région qui a gardé intactes les philosophies traditionelles. On n'est ni en situation de l'oralité ni celle de l'écrit. La cohésion nationale se travaille sur la base d'une vraie vision et une vraie politique. Les gens pensent qu'on ne doit faire confiance qu'à leur frère, ami ou clients. Alors que c'est très simple de voir que mon frere qui n'est pas pilote ne m'amenera qu'à la mort si je me fie à lui. Il faut une nouvelle culture politique qui doit concevoir la politique différemment: la politique comme pensée et non un ensemble d'intrigues, des mensonges, etc. La politique doit être près des gens, elle doit être attentive à ce que les gens pensent--penser est un rapport avec le réel; la politique ne doit pas être contre les gens; elle doit travailler pour que tout le monde vive dans la paix et non dans les tensions, les harcelements et les conflits violents. C'est comme cela qu'on resolvera la crise congolaise. L'ethnicisme, le régionalisme, le chauvinisme masculin, le fétichisme, etc ne la résoudront pas. La crise politique concerne trois choses: la population n'a pas confiance aux institutions existantes et aux leaders, les acteurs politiques n'ont pas confiance entre eux et chaque acteur politique n'a pas confiance en soi-même-- il y en a qui sont vus nus aux cimetières pour se donner un peu de confiance de soi! La direction politique nationale légitime doit émerger de la solution à cette crise. Celle-ci existe dans toutes les régions.

Congo Vision : Peut-on encore parler d'une conscience Africaine quand on voit les guerres entre nations-Africaines? Autrement dit: Que diraient Nkrumah, Kimbangu et autres figures qui incarnent la lutte contre l'hégémonie coloniale?

Wamba dia Wamba : Les guerres, en Afrique, ne datent pas d'aujourd'hui. La formation des états, même en Afrique, était marquée par des conquêtes aussi. Les idéaux de paix sont toujours articulés aux conditions des conflits desquels il faut sortir. Le roi Kongolais, qui est mort à la bataille de Mbuila, arme à la main, au début du 17e siècle, nous a laissé ce testament: Le Kongo est un roc, on peut le battre mais on ne peut pas le casser; je meurs, mais il faut continuer la lutte jusqu'à la victoire. Même la conscience africaine s'est forgée à travers la lutte africaine contre un ennemi commun: traite négrière d'abord et colonialisme ensuite. Le néocolonislisme et la mondialisation sont encore plus difficiles à maitriser; cela prendra du temps. Mais nous y arriverons; il faut beaucoup d'optimisme et de courage. Les grands esprits que vous mentionnez nous hantent et nous devons nous en inspirer.

Congo Vision : Vous êtes un des signataires de l'accord de Sun City. Croyez-vous à la réussite d'une transition sans la participation de certains partis politiques et du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD-Goma)?

Wamba dia Wamba : La réussite de la transition harmonieuse doit être la bataille politique du moment. Il faut tout faire pour la gagner. Les négociations politiques peuvent toujours commencer quelque part et avec quelques forces; si elles sont menées correctement, elles devront devenir inclusives. Parce que l'objectif essentiel c'est, aujourd'hui de reunifier le pays; on ne peut pas se permettre d'exclure les autres. Aujourd'hui, malheureusement, on négocie contre certaines tendances et en marginalisant certaines autres. Notre tendance, par exemple a été exclue des travaux de Matadi, la continuation du putsh de Mbusa et Tibasima. Nous nous agitons pour que les consultations avec ceux qui n'ont pas signé se fassent et les tendances exclues soient inclues. Nous voulons aussi que les partenaires de l'Accord de Lusaka soient aussi responsabilisés dans cette affaire et qu'au haut niveau les dirigeants, à commencer par le président, le Premier Ministre désigné, les dirigeants de l'Alliance, se rencontrent pour sauver notre pays et arriver à construire une direction politique nationale unifiée.

Congo Vision : La République Démocratique du Congo, notre pays, n'a pas une histoire de réussir de transitions démocratiques harmonieusement. Il paraît aujourd'hui impérieux que la RDC saississe cette rare opportunité que lui offre l'histoire. Que faut-il pour que cette transition soit une réussite?

Wamba dia Wamba : Il faut que la transition ne soit pas laissée aux seuls politiciens, il faut que toute la population fasse sienne cette question essentielle. C'est pourquoi nous disons que cette question constitue une bataille politique centrale. Une bataille doit avoir des principes et des organisations: des gens unis entre eux sur ces principes, unis entre eux par des actions communes, unis entre eux par la volonté de voir progresser en qualité et en nombre les dispositifs de la bataille. Brièvement, la transition doit se donner un objectif strategique clair: préparation et reussite des élections crédibles, transparentes, démocratiques et justes en vue d'arriver a résoudre correctement la crise de la légitimité du pouvoir. Il faut des militants de cette préoccupation et non des assoiffes du pouvoir pour le pouvoir pour diriger une telle affaire. Il faut donc une croyance en elle et donc une volonté ferme de réussir. Il faut mener les négociations en vue de l'application de l'acte constitutionnel de façon démocratique et non hégémonique pour arriver à mettre en place une direction nationale solidaire. Il faut réellement et honnêtement aplanir les conflits réels et potentiels au sein de la direction du pays. etc.

Congo Vision : Qu'attendez-vous du gouvernement de transition qui sera dirigé par Jean Pierre Bemba ?

Wamba dia Wamba : Je m'attends à ce que les profils des gens qui y fassent partie répondent aux exigences de la réussite de la transition et qui ne mettent pas en avant leurs ambitions personnelles avant l'intérêt supérieur de la nation---la réunification du pays, la paix, la légitimation du pouvoir et la réconciliation avec vérité.

Congo Vision : Pensez-vous honnêtement que la cohabitation MLC, RCD-ML, RCD-Bunia, Mayi-Mayi, Société Civile, et l'actuel Gouvernement peut aider à résoudre la crise au Congo?

Wamba dia Wamba : Même là où il ya des institutions démocratiques solides, comme en France, la cohabitation est une affaire difficile. Surtout chez nous ou la classe politique est divisée, ce ne sera pas facile. C'est pourquoi, il ne faut pas laisser cette question aux seuls politiciens. Tous doivent s'entendre à transcender la simple représentativite organisationnelle pour prendre le point de vue de la multiplicite comme telle et de construire une autorité des gens de partout focalisée non à servir les intérêts fractionnels des organisations mais uniquement ceux de la nation toute entière. Ce ne sera pas facile; mais il faut cette détermination qu'on ne peut avoir que si on s'appuie effectivement sur les gens de partout.

Congo Vision : Une certaine opinion prétend que la constitution de la transition qui est entrain d'être rédigée à Matadi est illégale. Quelle est votre réaction?

Wamba dia Wamba : Juridiquement parlant, c'est depuis le démantelement du régime de lumumba que notre pays va des états d'exception en états d'exception. C'est difficile, en dehors de l'implication réelle du souverain primaire, de résoudre cette crise juridique. Il faut commencer quelque part; partir de l'enthousiasme des masses pour le DIC et pour ce qui se fait et redonner vie à l'implication d'initiavive du souverain primaire pour qu'on arrive à la vraie légalité.

Congo Vision : Quel rôle pensez-vous jouer pendant la transition?

Wamba dia Wamba : Nous voulons être là où se joue le rôle stratégique désicif pour asseoir le vrai changement. Déjà, dans nos interventions ici, nous donnons une orientation différente du discours politique.

Congo Vision : Que représentez-vous aujourd'hui. Une certaine opinion dit que vous êtes un homme fini. Comment réagissez-vous?

Wamba dia Wamba : C'est depuis Goma que les devins racontent ces balivernes. Nous avons survécu les tentatives de nous éliminer même physiquement plus de 5 fois. Nous avons une vision dans laquelle l'ensemble de la population congolaise se reconnait. Si l'on n'est pas avec les politiciens du couloir ou les propriétaires des soldats, ce ne veut pas dire qu'on est fini. Devant plus de 2 bataillons de Mbusa et Tibasima encadres par les soldats ougandais, avec nos 69 soldats, on ne nous a pas délogés de la résidence assiégée pendant deux semaines. La population nous avait aidés. Une minorité dans la vérité et la droiture peut devenir une majorité. Nous sommes la personne la moins seule au monde. C'est en le reconnaissant que vous nous interviewez, d'ailleurs.

Congo Vision : Comment évaluez-vous aujourd'hui, avec un peu de recul, le rôle que vous avez joué à la tête du RCD, (mouvement rebelle soutenu par le Rwanda)?

Wamba dia Wamba : J'étais élu, à l'unanimité, Président du RCD, des sa création et deux fois à cause de mes atouts: réputation académique internationale, liens importants dans la région et originaire de l'Ouest du pays, c'est-dire, non-sectaire, non-ethniciste et non-régionaliste et c'est cela qui a fait que nous avions reussi à faire accepter le RCD sur le plan régional et mondial. Il ne faut pas oublier que le Rwanda a contribué à aider le peuple congolais à renverser le régime de Mobutu. L'AFDL avait même confié la direction militaire de notre armée nationale aux mains d'un Rwandais. Les Rwandais, nous les avions trouvés sur terrain au Congo. Nous avons mis l'accent sur la nécessité de négociations directes et avons participé dans toutes les étapes de ces négociations--négociations de proximité, négociations directes donnant naissance à l'accord de lusaka, etc. Nous avons exigé le Dialogue. Après les divergences avec les Rwandais et les autres tendances au sein du mouvement--Mobutiste et Afdelienne--, j'étais écarté par putsh et parti pour Kisangani.

Congo Vision : A quand le départ des troupes étrangères du territoire congolais?

Wamba dia Wamba : Il ne faut pas rêver aux dates; il faut s'impliquer et exiger le départ de ces troupes. Il faut isoler ceux qui résistent de sortir partout où l'on est. Vous avez la chance d'être aux USA qui ont souvent soutenu les Rwandais et les Ougandais; expliquer aux gens là-bas de la nécessité de la paix et du retrait immédiat des troupes. Mais, il y a dans le cadre de l'Accord de Lusaka un programme qui ne pourra réussir que si toutes les parties font ce qui leur est demande. Toutes les troupes étrangères partiront certainement; mais il faut un mouvement d'exigence de ce retrait et une évolution certaine d'arriver à la reunification et la reconciliation nationale.

Congo Vision : Faut-il craindre l'alliance entre le RCD-Goma,Tshisekedi et les autres non-signataires de l'accord de Sun City. Si cette alliance ne rejoint pas ce qu'on appelle aujourd'hui le "camp de la patrie", quelles en seraient les incidences ?

Wamba dia Wamba : Nous sommes pour une organisation active des consultations avec les gens de l'Alliance pour l'intérêt supérieur de la nation. Le président étant reconnu par tous doit rencontrer les dirigeants de l'Alliance. Il faut que les contacts soient é tablis avec les alli é s des gens de l'Alliance pour que les conditions de leur reimplication dans les n é gociations politiques entre seuls congolais soient obtenues. Pour r é ussir la reunification du pays, il faut tout cela .

Congo Vision : Pourquoi avez-vous quitté le RCD-Goma?

Wamba dia Wamba : Je n'ai jamais été membre du RCD-Goma. Celui-ci a été créé après mon départ de Goma par un putsh organisé par les Rwandais qui devenaient de plus en plus opposés à mes positions.

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Propos recueillis par Sylvestre Ngoma, Congo Vision .

16 Juin 2002

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