Entrevue avec le Professeur Mukala KADIMA-NZUJI
Poète et critique littéraire, le Professeur Mukala KADIMA-NZUJI est l'auteur de nombreuses publications, notamment Jacques Rabemananjara, l'homme et l'oeuvre (Paris, Présence Africaine, 1981); La littérature zaïroise de langue française , 1945-1965 (Paris, Karthala/ACCT, 1984) et Sony Labou Tansi ou la quête permanente du sens (Paris, l'Harmattan, 1997).
Il séjourne actuellement en Allemagne où il assure, en qualité de Mercator Gastprofessor, des enseignements de littératures francophones, au Département de Littératures romanes et comparées de l'Université de Bayreuth.
Il a bien voulu répondre à nos questions.
Congo Vision : Professeur Mukala KADIMA-NZUJI, voudriez-vous nous dire la signification et l'origine de votre nom « Mukala KADIMA-NZUJI »?
Mukala KADIMA-NZUJI : Kadima-Nzuji, c'est mon nom, et Mukala mon prénom. Avant la politique mobutienne de Recours à l'Authenticité, je me prénommais Dieudonné . A la chute de l'Authenticité, je n'ai pas voulu reprendre ce prénom chrétien, pour la simple raison que je n'en voyais pas la nécessité. En plus, je m'étais déjà fait connaître davantage, en tant que chercheur et écrivain, sous mes noms et prénom actuels, et tous mes papiers d'identité ainsi que les diplômes obtenus depuis lors portent ces noms et prénom. Que signifie mon nom? Kadima , c'était le nom de mon grand-père paternel. Il s'appelait Kadima Damas . Il a transmis son nom à ses enfants, comme l'exigeait l'administration coloniale. Il a eu six enfants, quatre garçons et deux filles. Seul mon père s'est appelé « Kadima-Nzuji ». « Nzuji » n'a rien à avoir avec le nom de jumeau « Nzuzi » qu'on retrouve chez les Bakongo. « Nzuji » est une déformation du mot « juge ». C'était le sobriquet de mon père depuis son enfance, et ce sobriquet adjoint à « Kadima » a formé le nom qu'il a porté et qu'il a transmis à ses enfants, et nous à nos enfants. Quant à Mukala , c'est le nom de l'ancêtre commun de tous les Kadima . Avec l'Authenticité mobutienne, je devais me trouver un postnom. J'ai pris celui-là sans trop savoir ce qu'il signifiait. C'est beaucoup plus tard, grâce aux travaux de ma soeur Clémentine Faik-Nzuji , que j'ai découvert l'origine et le sens de Mukala . Cela m'a conforté dans mon refus de reprendre mon prénom chrétien auquel du reste je ne m'identifie plus du tout.
Congo Vision : Comment vous est venu le goût d'écrire? Est-ce que vous aviez ressenti que vous aviez quelque chose de particulier à dire au monde à travers le livre?
Mukala KADIMA-NZUJI : Le goût d'écrire m'est venu assez tôt de l'environnement familial. Mon père était assistant médical. Il appartenait au groupe de ceux que l'administration coloniale appelait les « évolués ». Il consacrait ses loisirs à peindre des paysages et des portraits. Il le faisait avec beaucoup de sensibilité. Et ses tableaux avaient beaucoup de succès dans les milieux coloniaux. Très jeunes, mes frères, mes soeurs et moi étions déjà familiarisés avec l'art. En plus, nous disposions d'une bibliothèque familiale où l'on trouvait des encyclopédies médicales et surtout toute la collection du mensuel des évolués « La Voix du Congolais ». C'est dans cette bibliothèque familiale que j'ai appris à lire. Plus tard, au collège Saint Ignace de Kiniati, dans le Bandundu, j'ai découvert des auteurs comme Senghor , Bolamba , Lomami Tshibamba . J'ai réalisé qu'il existait des Africains capables d'écrire en français, des oeuvres de grande beauté. Je me suis dit: pourquoi pas moi? C'est ainsi que je me suis mis à les imiter, et petit à petit je me suis rendu compte que l'écriture était une manière de réponse aux diverses questions que nous posent notre environnement et particulièrement notre relation au monde. Depuis lors, je n'ai cessé d'écrire.
Congo Vision : Vous venez d'être invité à l'Académie Royale des Sciences d'Outre-Mer de Belgique où vous avez été élu Membre correspondant en février 1997. Comment avez-vous accueilli cette reconnaissance?
Mukala KADIMA-NZUJI : Quand, en 1985, l'Académie des Sciences d'Outre-Mer de Paris m'avait décerné le Prix Georges Bruel pour mon livre « La littérature zaïroise de langue française 1945-1965 » publié la même année aux Editions Karthala, je pensais que l'illustre institution allait me proposer de compter parmi ses membres. Il n'en fut rien. Vous comprenez pourquoi ma joie est grande d'appartenir désormais à l'Académie Royale des Sciences d'Outre-Mer de Belgique. Les deux institutions poursuivent les mêmes objectifs: promouvoir des études pointues sur les régions d'outre-mer, y compris l'Afrique.
Congo Vision : Le thème « Francophonie et Littérature » que vous allez présenter devant la Classe des sciences morales et politiques de l'Académie suscite de nombreuses questions dans certains milieux littéraires africains. L'idée de la promotion des langues locales africaines semble de plus en plus séduisante. Croyez-vous que la francophonie et la littérature africaine fassent bon ménage?
Mukala KADIMA-NZUJI : Je suis de ceux qui luttent pour que les langues africaines soient utilisées dans tous les secteurs de la vie nationale en Afrique. Et je me dis que le développement dont on parle tant ne sera possible que le jour où les Africains commenceront à penser le monde, à se situer dans le monde et à penser leur relation au monde à travers leurs propres langues. Car, je ne cesse de le répéter, personne ne peut se développer véritablement par procuration. En même temps, je me dis que le français est un bel instrument que la colonisation a mis entre nos mains, mais il demeure une langue étrangère; et il faut le considérer comme tel. Cependant, compte tenu de notre situation d'anciens colonisés que nous ne pouvons pas reniée, si quelqu'un se sent la vocation d'écrire des livres en français, qu'il le fasse, mais alors qu'il le fasse avec toute la force de son âme. La connaissance d'une pluralité des langues et la capacité d'en user avec bonheur comme moyen d'expression constituent toujours une manière de richesse intellectuelle et culturelle.
Congo Vision : Votre parcours d'écrivain et de critique littéraire est digne d'éloge. Il va sans dire que vos idées et vos points de vue sont valables pour le Congo et pour l'Afrique. Collaborez-vous avec les écrivains et critiques littéraires congolais et africains à travers le monde?
Mukala KADIMA-NZUJI: Je compte beaucoup d'amis parmi les écrivains congolais et africains. Je reçois régulièrement ce qu'ils publient. Il y a une sorte de confraternité de plume qui nous unit. C'est précisément pour renforcer cette confraternité que j'ai créé à Kinshasa, il y a six ans, le Centre d'Etudes et de Diffusion de la Littérature congolaise (CEDILIC) . L'un des objectifs majeurs de ce Centre est de susciter et promouvoir des travaux de recherche sur les écrits d'auteurs congolais des deux rives et sur ceux portant sur les deux pays. Le Centre ne bénéficie d'aucune subvention. Mais l'adhésion de beaucoup d'écrivains et de chercheurs à ce projet et l'envoi régulier et gracieux de leurs publications au Centre témoignent éloquemment de bonnes relations que j'entretiens avec eux.
Congo Vision : Que pensez-vous de la génération actuelle d'écrivains congolais?
Mukala KADIMA-NZUJI : Elle me paraît moins exigeante que la nôtre. J'ai le sentiment qu'elle est trop vite satisfaite de ce qu'elle écrit et qu'elle est trop pressée de publier . Il y a bien évidemment quelques exceptions.
Congo Vision : La littérature africaine se fait souvent l'écho des réalités sociales. Avez-vous le sentiment que vos oeuvres contribuent à faire avancer la cause africaine?
Mukala KADIMA-NZUJI : C'est à vous de me dire si mes oeuvres contribuent ou pas à faire avancer la cause africaine. Je ne sais pas ce que c'est que la cause africaine. Si c'est le développement intégral de l'Afrique , ce que j'ai écrit et publié s'inscrit dans cette perspective. Un exemple que j'emprunte au domaine de la recherche littéraire. Nous, critiques et chercheurs littéraires africains, nous avons la chance de vivre aux côtés des écrivains dont nous parlons, de connaître leurs oeuvres de l'intérieur et tous les implicites culturels dont elles sont chargées. Malheureusement, la recherche littéraire africaine est encore si profondément tributaire des critères d'appréciation et des méthodes d'analyse occidentaux qu'elle se plaît, dans ses travaux, à convoquer l'autorité des critiques d'ailleurs qui ont analysé les oeuvres africaines le plus souvent à partir des préoccupations esthétiques et idéologiques qui sont les leurs, pour justifier et étayer son propre discours, plutôt que de prendre le devant et de proposer des grilles de lecture appropriées, qui tiennent compte du substrat culturel inscrit dans les oeuvres. D'autant que ce substrat culturel se manifeste non seulement à travers la vision du monde et l'interprétation des événements, mais aussi à travers la manière de prendre la parole et de dire les choses. C'est pourquoi je me dis toujours que nous devons décoloniser la critique littéraire africaine pour autant qu'elle existe, que nous devons absolument reprendre l'initiative du discours critique sur nos oeuvres. Tel est le sens de mes travaux de critique et des enseignements que je dispense cà et là. Ce faisant, n'est-ce pas faire avancer la cause africaine?
Congo Vision : Quel apport le Congo peut-il attendre de grandes personnalités scientifiques comme vous lors de la tenue du dialogue intercongolais?
Mukala KADIMA-NZUJI: J'ai honte de nous. J'ai honte de ceux que vous appelez « grandes personnalités scientifiques » congolaises. Elles ont lamentablement échoué à orienter au mieux le destin de la nation congolaise lors de la Conférence Nationale Souveraine. Elles se sont compromises avec des politiciens véreux. Aujourd'hui, nombreuses sont celles qui se retrouvent dans les rangs de la prétendue rébellion à l'est du Congo. Elles trahissent leur patrie pour une poignée de dollars et de promesses. Elles ont trempé leurs mains et leurs consciences dans le sang de trois millions de morts. Comment pourrait-on encore penser qu'elles soient capables d'un apport positif à la marche du Congo? Elles viendraient assurément au Dialogue intercongolais comme en terrain de chasse pour tenter de se faire attribuer qui un portefeuille ministériel, qui la direction générale d'une entreprise publique...que sais-je encore? L'Histoire nous jugera sévèrement, j'en suis sûr.
Congo Vision : Quelle est votre vision de l'avenir de la littérature africaine?
Mukala KADIMA-NZUJI : L'avenir de la littérature africaine est prometteur à la seule condition que ce vocable ne couvre pas seulement ce qui s'écrit dans les langues étrangères, mais aussi tous les textes en langues africaines qui sont de plus en plus nombreux. Car c'est cet ensemble des textes qui traduit avec bonheur les réalités littéraires africaines. Nous devons dépasser les barrières linguistiques pour redéfinir le corpus littéraire national.
Congo Vision : Outre le fait d'occuper des fonctions de « Mercator Gastprofessor » au Département de Littératures romanes et comparées de l'Université de Bayreuth en Allemagne, vous êtes professeur à l'Université de Kinshasa et à l'Université de Brazzaville. Comment conciliez-vous toutes ces lourdes tâches?
Mukala KADIMA-NZUJI : Je suis un enseignant permanent à l'Université de Brazzaville. Vis-à-vis de mon université d'attache, je suis en congé sabbatique depuis le 1er octobre 2000. J'ai tout simplement mis à profit ce congé qui dure un an pour répondre à l'invitation de l'Université de Bayreuth. Et le Mercator Gastprofessor est une distinction honorifique que la Direction Générale de la Recherche scientifique d'Allemagne attribue à un chercheur méritant pour lui permettre de séjourner pendant un an sur le territoire fédéral, dans les meilleures conditions qui soient, en vue d'enseigner et d'entreprendre ou d'achever un travail de recherche. A Kinshasa, j'ai le statut de professeur à temps partiel. J'y reprendrai mes enseignements à mon retour au Congo. Tout est question d'organisation personnelle.
Congo Vision : Nous vous remercions .
Propos recueillis par Sylvestre Ngoma, Congo Vision
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