INTERVIEW AVEC DIDIER MUMENGI, Homme d'Etat et Ecrivain Politique congolais.
Ouvrage :
MUMENGI, Didier, L'avenir à bras le corps. Prospective pour le développement de la République Démocratique du Congo, Kinshasa, Editions Universitaires Africains , Collection « Prospective », 2001, 316 pages.
Congo Vision: Qui êtes-vous Didier Mumengi ?
Didier Mumengi: Je suis né à Kinshasa, le 23 mai 1962. Je suis diplômé en Journalisme à Paris. J'ai commencé ma carrière comme éditorialiste dans un Journal Universitaire du Centre de Documentation et de Formation (C.D.F) à Paris. J'ai écrit dans plusieurs journaux, notamment Le Monde Diplomatique'. Esprit de rupture est le titre de mon premier ouvrage, écrit en 1995. J'en ai écrit d'autres: Désire de vérité (Livre entretien), Les Jeunes sans Toi, Drame familial (Théâtre), Pacte de sang (Ballet), Conspiration du silence (Théâtre) , et Univers des jeunes sans toit.
Je suis militant lumumbiste au sein du M.N.C/L depuis l'âge de 18 ans.
En 1997, je suis Directeur du Cabinet au Ministère de l'information et Presse. Fin 1997 et début 1998, je suis Directeur de Cabinet du Ministre de la Coopération Internationale. Juin 1998, je suis nommé par Mzee Laurent Désiré KABILA Ministre de l'information et Presse et Porte-Parole du Gouvernement. Après, je suis Ministre de l'information et du Tourisme. Ensuite, fin 2000, je suis Ministre de la Jeunesse et Sports.
Congo Vision: Si ce n'est pas de la discrétion et pour un besoin historique, comment êtes-vous devenu du jour au lendemain Ministre de Kabila ? On parle des amitiés lointaines avec votre père.
Didier Mumengi: Dès le seuil de la lutte pour la libération de la République, Mzee Laurent Désiré KABILA confie à Maître Célestin LWANGHY, qui deviendra le tout premier Ministre de la Justice, la mission de recruter des cadres congolais révolutionnaires de la diaspora. Je suis le premier qu'il contacte à Bruxelles, en 1996.
Lorsqu'on arrive à Kinshasa, je me retrouve, nonobstant ma fonction de Directeur de Cabinet, dans la petite cellule diplomatique du Président de la République. Et c'est après avoir pris une part active dans le projet du Sommet de Kinshasa pour la paix, la sécurité et le développement dans les Grands Lacs que Mzee décide de me nommer Ministre.
Congo Vision: Revenons à votre ouvrage, vous venez de publier en 2001 aux Editions Universitaires Africains à Kinshasa, dans la collection Prospective, un ouvrage de 316 pages intitulé, L'avenir à bras le corps. Prospective pour le développement de la République Démocratique du Congo , pourquoi avez-vous choisi un tel titre?
Didier Mumengi: Nous sommes à un carrefour scabreux de l'histoire de notre pays. Entre cette étrange langueur qui étreint notre société et les périls qui se dressent devant le devenir national, se profile un danger réel, précis et imminent que la R.D.C disparaisse comme sujet de l'histoire. L'Etat n'existe plus, la souveraineté nationale et l'intégrité du territoire sont en lambeaux, l'éducation des enfants est mise sens dessous dessus, l'université à va vau l'eau, l'économie en déroute, les épidémies en métastases, les érosions à profusion, aucune perspective de cohésion sociale ... Nous sommes à ce déclin apocalyptique parce que nous avons baissé les bras, d'où le titre « Avenir à bras le corps ». C'est un appel au ressaisissement collectif, au surcroît d'esprit de responsabilité pour qu'advienne l'âge de la raison en RDC . Je voudrais, à travers cet ouvrage, dire à mes compatriotes que si ce qu'on a fait de nous doit demeurer leçon, ce que nous sommes doit être conscience, ce que nous avons et valons doit être sans secret pour le plus grand nombre, et notre devenir collectif une question de volonté ferme et tenace.
Congo Vision: Votre livre s'ouvre sur un cri d'alarme ou un cri de cœur ou un cri interne. Est-ce un découragement ou un sentiment d'impuissance de quelqu'un qui a été ministre de la Communication pendant les forts moments de la guerre d'agression et qui, devant la real politik, recherche des solutions à la crise ailleurs ?
Didier Mumengi: Les pages liminaires du livre sont à la fois un cri d'alarme, un cri de cœur et un cri interne. Vous n'y trouverez guère la moindre ombre de découragement, encore moins la trace d'un quelconque sentiment d'impuissance. J'avais reçu mission de galvaniser la population contre l'agression rwando -ougandaise et j'ai compris, depuis lors, que le peuple congolais est capable de prouesses et d'efforts surhumains pour peu que la sollicitation de son engagement croise l'espace de ses intérêts vitaux. Du prologue à l'épilogue de l'ouvrage, je tente de répondre à cette série de questions : comment réanimer les esprits d'un peuple congolais hanté par le défaitisme, le fatalisme et la résignation ? Que faire pour que notre société devienne dialoguale, et que le pays se transforme en un vaste espace de débat et de choix, pour que notre Patrie produise des rationalités collectives ? Comment mobiliser les intelligences pour mettre fin à l'ordre irrationnel du fétichisme et de la sorcellerie, en vue d'atteindre le règne de la circulation des savoirs et l'âge de la raison ?
Congo Vision: Devant le tableau noir de l'histoire du Congo, devant toute la bouillabaisse de son destin au présent fait de guerre, de misères, quel est votre message ?
Didier Mumengi: Chers compatriotes, les seules forces de redressement national et de développement en notre possession résident dans nos capacités immanentes. Elles ne peuvent éclore que par la réflexion, qui donne à l'homme sa vraie dimension humaine, par la pensée qui est le seul miracle susceptible de nous ouvrir les portes d'un avenir radieux, et enfin et surtout par le travail, qui à lui seul crée non seulement l'ensemble des produits et des revenus mais aussi déterminé fondamentalement les écrits et les mouvements des prix.
Chers compatriotes, ce qui menace notre société en premier lieu, c'est d'abord notre propre doute. Les pulsions négatives et la sensiblerie gangrènent la foi en nos virtualités immanentes, interdisent l'esprit d'entraide et la solidarité et empêchent tout engagement citoyen ferme.
Disparaîtrons-nous dans une mondialisation sans âme ou parviendrons--nous à construire une RDC indépendante, fière d'elle-même et de son peuple ? Subirons-nous la domination de nos voisins qui nous croient faibles et imbéciles ou ferons-nous rayonner la RDC et sa culture en Afrique ? Laisserons-nous sans réagir se développer la misère et les épidémies qui brandissent la menace d'extermination de notre peuple ou engagerons-nous vigoureusement le mouvement de la coalition de nos intelligences et de nos efforts pour ouvrir le chantier du redressement national ?
Ce redressement national, chers compatriotes, c'est d'abord un devoir personnel bien qu'il soit aussi et surtout un défi collectif Moi, pour l'amour qui m'unit à ma patrie, je me suis battu toute ma vie pour son salut.
Congo Vision: Pensez-vous que le Congo, comme vous l'évoquez, draine encore dans son histoire de demain ce pays « vacant et sans maîtres », comme le dirent jadis les pères de la Conférence de Berlin et ainsi, cet enfer sui pour le Congo est les autres, fait que le Congo convoité est toujours menacé ?
Didier Mumengi: Le 30 juin 1960, nous avons gagné un espace de liberté, nous devons pleinement l'occuper, pour asseoir l'excellence de notre humanité, par l'efficience de nos actes et la haute qualité de nos projets collectifs.
Notre Patrie cessera d'être l'objet de convoitise si de la conscience de l'indépendance, nous réalisons, l'indépendance de la connaissance nationale. Contre les velléités de soumission, de domination ou de balkanisation de notre pays, nous devons affermir un amour de la RDC qui soit indéfectible, inextricable et intraitable. On appelle ça : le patriotisme.
Congo Vision: Vous affirmez avec force : « La République Démocratique du Congo ne peut pas disparaître et ne disparaîtra pas » et vous évoquer ceux qui, d'une façon permanente semble jurer sur l'éclatement de ce pays. Vous écrivez : « Marina Ottaway, codirectrice du programme « Démocratie » à la Fondation Carnegie, soutient sans ambages que : « les Etats africains doivent, comme tous les autres Etats, rester viables ou se scinder – comme l'Union Soviétique, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie ». Elle enchaîne : « il n'y a aucune raison de reconnaître comme sacrés des Etats qui ne peuvent ni se gouverner, ni développer un consensus suffisant parmi leurs citoyens. Ainsi, la République Démocratique du Congo n'est plus un Etat… » . Pensez-vous que des citations comme celle-ci sont nombreuses et comment devons-nous nous tenir face à elles ?
Didier Mumengi: L'histoire universelle nous enseigne que bon nombre des peuples et des nations et des peuples ont disparu, par laxisme généralisé, par résignation endémique, par inconscience ou inadvertance collective. J'ai écris cet ouvrage aussi pour dire à mes compatriotes : Attention !!!
Congo Vision: Vous passez presque sous silence l'action de Kabila, sauf quelques pages, vous ne critiquez presque pas les années Mobutu, vous considérez-vous dans une optique qui, comme vous l'écrivez, est une fusion féconde du passé, du présent et de l'avenir ?
Didier Mumengi: J'ai dédié cet ouvrage à Mzee Laurent Désiré KABILA. Il incarne notre résistance à l'agression, notre aspiration à l'auto détermination et notre et notre volonté à reconstruire la RDC dans la souveraineté et la cohésion nationale.
Congo Vision: Quelle est la place que vous accordez à Mzee Kabila dans l'éveil national de demain ?
Didier Mumengi: Que personne n'oublie qu'en manifestant la volonté de restituer le pouvoir d'Etat au peuple congolais pour que plus rien ne se fasse contre lui, ni sans lui, Mzee Laurent-Désiré KABILA, a mis en chantier une nouvelle dimension de la citoyenneté congolaise appelée à se structurer à la base, axé sur les nouveaux réseaux de réflexion et d'action entre femmes, hommes et jeunes engagés pour la défense de la patrie, là où ils sont les plus présents : dans la rue, le quartier, la commune, etc…
Mzee Laurent Kabila a légué à la Nation congolaise le sens de l'éveil patriotique, l'esprit de l'indépendance, la foi en nous-même, le culte de l'effort et de l'autodétermination.
Congo Vision: Le « Bunanza », est-ce une recette magique, un plan de redressement, une idéologie de demain et en quoi consiste-t-il ?
Didier Mumengi: Lorsque Lucien Lévy BRUYL décrit le nègre, il le présente comme un être plus de chairs que de raison. Un être sensuel et mystique. Essentiellement par affectif et tout entier saisi par l'émotion. Sa vie intellectuelle est constamment sous l'instance des sens. Sa pensée est pré-logique, c'est-à-dire rebelle à toute objectivité, à toute création. Et son essence repose fondamentalement sur I'émotion et la passion.
Hegel, lui, affirmait que le continent noir n'avait pas d'histoire, que l'Afrique ne faisait pas partie du monde historique, qu'elle ne montrait ni mouvement, ni développement.
Contre ces allégations négrophobes, il n'y a qu'une réponse qui vaille: susciter dans tout un chacun la pleine connaissance du rôle que les temps actuels réclament de l'individu congolais de façon à promouvoir le progrès de la nation, à favoriser la justice sociale, à se coaliser pour une action concertée d'un développement qui soit intégral. C'est-à-dire, un développement qui ne se réduit pas simplement à la croissance économique, mais qui lance le pari de promouvoir tout l'homme et tout homme.
Saisir les profondeurs de cet homme, où résident ses virtualités immanentes, c'est d'abord opérer une immersion dans la subjectivité de sa tradition et de son histoire multi-séculaire pour remuer la vérité objective de sa nature, qui y somnole.
Comme l'existence objective ne peut nier la subjectivité, et que le futur n'a de sens que par rapport au passé, et que le mouvement qui suscite la création vient toujours en prolongement de l'expérience intérieure, je propose le « BUNANZA » comme instance du repli des hommes d'élites, les érudits de la Patrie, pour entreprendre un dialogue volontariste avec notre passé, en installant nos valeurs ancestrales sous la coupe de la loi fondamentale de l'échange critique, du débat interculturel et philosophique.
Cette réflexion claustrale permettra de dégager un code de symboles, une grille de préceptes contenant des éléments de culture qui soient les mêmes pour tous. C'est à l'aune de cette expérience que le comportement constructif deviendra possible, parce que notre manière d'être serait saisie par des intégrations psychiques supérieures, parce que l'homme serait devenu sujet praxéologique, étant donné qu'il est débarrassé de toute prothèse identitaire, qui 'jusque là masque une démission mentale. Ce code de symboles et cette grille de préceptes codifiés consignés à jamais, révélés à chacun et mis à la disposition du travail de la construction du savoir et de la reconquête de notre personnalité totale, rétabliront l'élément cardinal de notre équilibre mental, et feront jaillir un humanisme de création, d'innovation, d'efforts et d'actions réfléchies. Je suis de ceux qui croient qu'il n'y a guère chez un peuple des comportements naturels et instinctifs, il n'y a que des comportements acquis, fondés sur des schèmes socioculturels.
Congo Vision: Vous accordez une place de choix à la refondation du système éducatif, pour un ancien ministre de l'information, pensez-vous réellement qu'un tel pari peut être gagné et comment ?
Didier Mumengi: Je suis un volontariste. Et je sais que sans un bon système de transmission des savoirs et des techniques, la patrie devient une cause perdue. Comment s'y prendre ? Le système éducatif que je propose se fonde sur la mise en' oeuvre des relations dialectiques entre l'école, le milieu, les exigences de développement et les enjeux de la mondialisation.
L'école enseignera l'usage des outils à notre disposition et la fabrication d'outils indispensables à la production de tout ce qui est utile à la survie de la communauté nationale. Elle sera la source du renouvellement de la société. Le jeune s'instruira pour être actif dans une société en quête du mieux être collectif Il viendra acquérir les aptitudes à résoudre des problèmes sous diverses formes et à divers niveaux.
L'école va l'aider à mieux comprendre le monde, à maîtriser les notions des sciences expérimentales et de la technologie. Et l'école retrouvera tout son sens de lieu d'éducation nationale en enseignant les règles de vie, les valeurs morales, spirituelles et civiques.
La réforme que je propose répond à cette préoccupation majeure: que faut-il envisager comme formations professionnelles pour en finir avec la société des bricoleurs et débrouillards, et engager la République dans l'âge de l'ingénieur, de l'ouvrier qualifié et de l'entrepreneur ?
Congo Vision: Aucun domaine n'est épargné dans votre essai, la santé, le social, l'économie, mais pas grand chose sur la politique. Pensez-vous fatiguer de la politique ou souhaitez-vous aujourd'hui un autre centre d'intérêt dans la réflexion de notre génération ?
Didier Mumengi: En dehors de l'autopsie des faits et de l'étude prospective de devenir de l'homme, la politique est imposture.
Congo Vision: Vous proposez un model de gestion de l'Etat, ne risquez-vous pas de tomber dans le piège de devenir moralisateur, mais une fois aux commandes, ne plus tenir compte de toutes les réflexions contenues dans votre ouvrage ?
Didier Mumengi: Je me suis imposé un principe simple: Je mange tous les jours, et tous les jours, je dois apprendre. C'est-à-dire mon cerveau doit s'alimenter au même rythme ou presque que mon ventre. Les réflexions contenues dans mon ouvrage relèvent d'une mixture : celle de mes connaissances livresques et de mon expérience de Ministre au sommet de l'Etat. Elles forment la matrice de ma foi militante et le socle de ma vocation politique. Si une remise en question de certaines lignes de réflexion reste toujours possible, les trahir serait accepter le suicide de mon esprit.
Congo Vision: En attendant que demain vous puissiez retrouver les moyens de votre réflexion, animez-vous un forum, un salon d'idées et d'idéologues, un centre de réflexion, ou une autre assise qui peut aider les gens à réfléchir et à s'engager dans l'action ?
Didier Mumengi: L'idéal de la prospérité du Congo et du mieux-être en général ne semble illusoire que parce qu'il a été abandonné.
Je prépare un cycle de conférence à travers le pays pour transmettre la volonté de bâtir un Congo fort, confiant en l'avenir, capable de donner à chaque congolais la force de participer à un grand projet collectif.
Congo Vision: Vous refusez de conclure votre livre, c'est pour laisser des ouvertures à la brèche ainsi ouverte ?
Didier Mumengi: Le débat continue ...
J'ai essayé de mettre en relief les points qui ne pouvaient échapper à un esprit précis. Néanmoins, la typologie élaborée dans l'ouvrage reste une esquisse. Je n'ai pas voulu conclure parce que j'en appelle à des examens plus approfondis, à la poursuite de collecte de données, à l'exploration d'autres pistes, et pourquoi pas au raffinement des sujets que je me suis autorisé d'aborder.
Congo Vision: Nul ne peut prendre parole aujourd'hui sans un mot sur le Dialogue Inter congolais en Afrique du Sud, surtout vous en tant qu'ancien Ministre de Kabila.
Didier Mumengi: Mon avis est un banal conseil: le dialogue non point pour avoir raison mais pour raisonner ensemble. Cependant, une prière: que Sun City mette fin au syndrome de la table ronde, où épisodiquement « l'élite » s'invite au « dialogue » pour procéder à l'exorcisme collectif Il est temps que notre société devienne dialoguale, par les livres ou autres instruments de transmission des savoirs, par l'échange culturel ou par le jeu électoral où les pères et les idées s'affrontent...
Congo Vision: Votre livre commence par des questions, même si vous vous refusez à tirer une conclusion, la laissant aux lecteurs que nous sommes, comment doit se dessiner demain l'avenir du Congo et sur quels acteurs compter ?
Didier Mumengi: Mon livre est là et témoigne qu'une politique de redressement national et de progrès est possible. Je sais qu'il existe au sein du peuple congolais des réserves de courage, d'amour du bien public et de dévouement patriotique. A ceux-là, eux qui savent que c'est l'esprit de lutte qui donne à la vie tout son sens, ceux qui ont conscience qu'au-delà de leurs destins personnels, il y a la Patrie à sauver, je leur dis : Le moment est venu de coaliser nos intelligences et nos efforts pour vaincre ce sous-développement qui dénature notre humanité.
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Propos recueillis par Norbert MBU MPUTU, Congo Vision
12 Avril 2002
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