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CONGO VISION INTERVIEWE LE CHERCHEUR « NYANG'E NKOSO » CONGOLAIS KAWATA ASHEM TEM

Auteur d'un dictionnaire bilingue lingala-français , monsieur Kawata Ashem Tem est spécialiste en Philosophie et Lettres - Option philologie romane. Enseignant à l'Université Nationale du Zaïre (aujourd'hui Congo) depuis 1974, et en France depuis 1981, Kawata Ashem Tem est lauréat du Prix Kadima Kamuleta de l'Agence Intergouvernementale de la Francophonie (AIF) pour la valorisation des langues africaines en 2001.

Congo Vision : Qui êtes-vous Kawata Ashem Tem ?

Kawata Ashem Tem : Je suis né à Kikwit, dans la région de Bandundu, le 21 novembre 1949. Mais j'ai appris la Philosophie et les Lettres (option philologie romane) à l'UNAZA et les littératures et civilisations francophones à la Sorbonne (Paris IV). J'ai enseigné à l'UNAZA en qualité de Professeur-Assistant et exercé le journalisme dans la Presse écrite, la radio et la télévision au Congo. J'ai travaillé comme Assistant du Recteur de l'UNAZA et Conseiller au Département de l'Education Nationale. J'enseigne les Lettres classiques et les Lettres-Histoire en France depuis 1980. J'ai été élu Conseiller Municipal de la commune de Saint-Pierre-Lès-Nemours en France (pour un second mandat en 2001). Enfin, je possède la Médaille des Arts et Lettres de la République Démocratique du Congo pour les travaux sur le dictionnaire « Lingála ».

Congo Vision : Depuis quelques temps, vous travaillez pour une certaine schématisation scientifique du Lingala, pourquoi, est-ce que pour hisser le Lingala (et plus par les autres langues bantoues) vers des langues scientifiques, si je puis ainsi dire ?

Kawata Ashem Tem : Il ne s'agit pas d'une schématisation scientifique du lingála, mais d'une véritable appropriation des sciences et des pratiques scientifiques par la langue Lingála. Une langue sert à nommer les choses, les notions et les êtres. Si le lingála est une langue, elle doit pouvoir y arriver. Elle y arrivera parce qu'elle possède des moyens structurels et morphologiques. Mais c'est aux locuteurs de la langue de travailler sur les terminologies spécifiques, comme d'autres le font dans leurs langues. Si nous considérons l'évolution de certaines langues étrangères, leurs aptitudes à nommer les notions et les abstractions viennent de leur pratique raisonnée dans les disciplines scientifiques. Il est préjudiciable d'attribuer indéfiniment à une langue parlée par 70 millions de locuteurs un rôle aussi subalterne. Si les sciences appartiennent à l'expression discursive de la pensée humaine et de ses capacités techniques, le lingála doit pouvoir en exprimer les contenus les plus significatifs.

Congo Vision : Quelles sont les grandes lignes de vos recherches ?

Kawata Ashem Tem : L'idée de base est de créer un outil lexicographique ayant le lingála comme langue principale dans le cadre d'une recherche lexicologique et terminologique.

3.1. La première étape concerne l'élaboration d'une série de « dictionnaires bilingues » (Lingála-Français, Lingála-Anglais, Lingála-Swahili….). Ceux-ci sont en réalité des lexiques. L'objectif est de dégager par leur vente suffisamment d'argent pour financer le principal travail sur le Dictionnaire monolingue du Lingála.

3.2. Ce travail n'existe pas à ce jour, cependant un premier essai va être publié par les Editions Karthala à Paris avec des subventions de l'Agence Intergouvernementale de la Francophonie. Il possède trois parties : a) une grammaire ; b) Les noms communs ; c) Les noms propres de lieux, de personnes (Congo et Afrique).

3.3. Tous ces travaux sur le lexique du lingála conduisent à une recherche universitaire sur les noms des instruments en lingála : étude lexicologique et terminologique. Il s'agit de fonder une théorie sur les différents mécanismes propres à une langue pour nommer les instruments et ses capacités à intégrer des noms des instruments modernes. Le modèle ainsi établi, ses modes opératoires compris, peut servir à l'intégration des autres connaissances (sciences, administration, commerce, droit, médecine, etc…). Cette troisième étape sera élaborée sous la direction du professeur Ngalasso de l'Universté de Bordeaux III où je viens de l'inscrire comme projet de thèse.

Congo Vision : Quels en sont les premiers résultats ?

Kawata Ashem Tem : Les premiers résultats sont encourageants et montrent l'intérêt croissant des Congolais pour leurs langues. Même si, oh ! paradoxe des paradoxes, nos langues ne sont pas étudiées en elles-mêmes et ne sont pas positionnées comme véhicules des connaissances dans notre propre pays, il existe des universités qui l'inscrivent dans le cursus de leur pédagogie (Université de Wisconsin, Institut de Langues Orientales à Paris, etc…). Tout en me basant sur des travaux antérieurs (Bwantsa-Kafungu, Nzokanga Mwana-Mboka, R.P. René Everbroeck), le Bagó-Dictionnaire Lingála-Falansé/Français-Lingála s'est enrichi des mots nouveaux et du tableau des éléments de Mendeleïev de notre compatriote Papy-Mbikayi de l'Université d'Ecosse. Un autre résultat : c'est l'obtention du financement du jeune Claude MAKELELE. Elle démontre que nous sommes capables de nous entendre sur un sujet aussi capital et qui relève de l'intérêt national. Enfin, les perspectives de travaux sur la grammaire, la syntaxe et l'étymologie s'offrent aux chercheurs.

Congo Vision : Vous venez de mettre sur le marché un CD Lingala un Dictionnaire du Lingala, quid est ?

Kawata Ashem Tem : Je viens de mettre sur le marché un dictionnaire bilingue, tandis que le CD Room est en voie d'élaboration. Ce retard s'explique par la longue maîtrise du logiciel « Shoe box ». Par ailleurs, il fallait aussi trouver un financement pour la finition de Cd Room. Mais surtout, ce retard permet au cd room de bénéficier de compléments d'informations et des corrections que les dictionnaires en format livre ont dégagées. Enfin, n'oublions pas que la plupart d'entre nous ne possèdent pas d'ordinateur…

Congo Vision : Pouvons-nous un jour parler d'une Académie Lingala ?

Kawata Ashem Tem : La tentation est trop forte. Il en existe une à Bamako pour les langues africaines. On se réfère à l'Académie Française, et on décide qu'il faut absolument en faire « pousser » partout. Je ne crois pas au rôle de contrôle et de régulation d'une Académie. Beaucoup de langues (anglais, chinois, japonais, les langues de l'Inde….) n'ont pas d'académie. D'ailleurs, si on prend le cas de la France, le Larousse, le Robert, le Littré… ne reçoivent ni ordre, ni caution de l'Académie Française (est-ce vraiment son rôle ?). Elle publie son propre dictionnaire à côté des autres. Avant de penser « académie », introduisons d'abord notre langue dans l'enseignement, l'administration, le commerce, la médecine, le droit. Il existe actuellement le C.E.L.T.A. qui, depuis son origine, fait d'excellents travaux de référence et des propositions.

Congo Vision : Vous inventez des polices bangala…

Kawata Ashem Tem : Non. Je n'ai pas inventé des polices Bangala. Depuis 1929, date de la fixation de l'Alphabet Phonétique Africain, à partir de l'Alphabet Phonétique International à Londres, certaines universités (anglaises) s'attèlent à cette tâche. Le C.N.R.S. (NDLR : Centre National des Recherches Scientifiques) de Cachan où travaille notre ami Edema vient d'en élaborer pour le PC et Macintosh.

Congo Vision : Quelles sont vos récentes publications ?

Kawata Ashem Tem : Pour le moment, j'ai abandonné tout projet de publication en langue française. Je me consacre exclusivement à la langue lingála. D'ailleurs, je suis entrain de traduire le Bel Immonde de Mudimbe en lingála. Il n'est pas normal que d'aussi belles œuvres ne soient pas lues dans nos langues.

Congo Vision : Comment vous appeler, écrivain, chercheur, professeur ?…

Kawata Ashem Tem : Cette question est curieuse. Si j'avais à choisir, je dirais « Chercheur ». Mais j'aurais infiniment préféré : « Nyang'e nkoso » (la mère du perroquet = professeur de langues) : titre que portait Itelé, le créateur de Bobongo de Mai-Ndombe (1890-1910).

Congo Vision : Pensez-vous que l'apprentissage de nos langues a une grande importance dans l'évolution actuelle de nos sociétés et pourquoi ?

Kawata Ashem Tem : Si on examine la situation du monde, les pays les moins avancés sont ceux dont les citoyens s'expriment, tant bien que mal, dans une langue étrangère. Le fait colonial n'est pas une fatalité et le développement d'un peuple ne saurait se faire sans l'outil principal de ses différents procédés de communication. Comment appeler, par exemple, les poissons dans une langue étrangère, alors que ceux-ci ne vivent pas dans les pays où sévissent les hivers ? Comment appeler les arbres, alors que ceux nommés en français ne poussent pas chez nous et que nous ignorons terriblement ? Aujourd'hui les techniques de traduction et de doublage sont si sophistiquées que l'on peut parler dans une langue et se faire comprendre par d'autres peuples. Si nous avons appris la langue des autres, pourquoi ne leur apporterons-nous pas notre façon de parler, la profondeur de nos sentiments et de nos pensées dans les langues qui les ont structurées ? Au moment où nous hésitons, le lingála continue son bonhomme de chemin par la musique et le commerce : Matonge à Bruxelles, Château-Rouge à Paris, Shepper's bush à Londres…Il s'installe là où personne ne l'attendait. Et des Chinois vendent des bitekuteku en disant « Mbote na yo ».

Congo Vision : Comment pensez-vous redynamiser la littérature en langues nationales aujourd'hui ?

Kawata Ashem Tem : Condition première : IMAGINATION. Ce qui suppose des créateurs et de l'argent. Pourquoi ne pas organiser chaque année des concours littéraires en langues congolaises et récompenser efficacement ceux qui s'y attèlent ? Les Français possèdent des prix littéraires à ce dessein. L'Etat peut conjuguer ses efforts avec des privés. Les radios, les télévisions et les journaux prendront le relais. A ce propos, quelle est cette nouvelle qui peut passer en lingála, swahili, ciluba, kikongo à la radio et à la télévision et ne jamais s'écrire dans ces langues dans les journaux ? Alors que dans nos traditions, des conteurs et des conteuses foisonnent, il est à peine compréhensible d'assister au tarissement de ces sources multiples. A moins que la colonisation, l'école et notre propre stupidité expliquent la situation.

Congo Vision : Le Lingala a un vrai problème aujourd'hui : le Lingala de Makanza ou le Lingala kinois ? Soso ou Nsoso ? Lipa ou Limpa ? Kiesse ou Kiese, en Kikongo ? On avale les « m », les « n », les accords, les « nkondo »… Qu'en dites-vous ?

Kawata Ashem Tem : Voici le plus terrible mensonge qui circule auprès des locuteurs de la langue lingála. Il n'existe qu'une seule langue lingála avec différentes sources lexicales (Uélé, Lisala, Bumba, Makanza, Mai-Ndombe, Kinshasa, Brazzaville, et actuellement les « Ngunda »….).

Ensuite vous posez trois problèmes :

1. La conservation ou la disparition de certaines consonnes nasales par le fait de prononciation…mais surtout parce qu'il existe une règle orthographique qui régit les liaisons de consonnes sourdes et sonores. - Dans la liaison de consonnes sourdes (mp, nt, ns, nk…par exemple), la nasalisation n'est pas obligatoire, comme dans les mots suivants :

- Mpongi....................pongi
- Ntango....................tango
- Nsé........................sé
- Nkake.....................kake

- (Les mots sont marqués sans tons et le « o » de mpongi est ouvert avec un ton montant). Mais la liaison de consonnes sonores (mb, nd,ny,ng, ngb) doit impérativement être respectée, sinon on altère le radical du mot.

2. Le mot « Kiese » en kikongo comme en lingála s'écrit avec une seule consonne « s ». La gémellité n'apporte rien sinon une certaine référence injustifiée à la langue française.

3. Les accords sont définis par la grammaire lingála et les « nkondo » sont aussi importants que les accords en français. Le respect de la grammaire est une exigence rigoureuse et incontournable. La langue française a bénéficié des siècles d'exercices et de fixation grammaticale, de leur vulgarisation par l'école et les pratiques sociales et intellectuelles (à l'oral comme à l'écrit). Par contre, la langue lingála est abandonnée, par nous-mêmes, à la performance orale.

Congo Vision : Demain le lingala, peut-on avoir des cours de mathématique moderne, chimie, biologie ?… Ne pouvez-vous par exemple créer des abréviations « ONU », OUA, etc… en Lingala ?

Kawata Ashem Tem : Pourquoi pas ? C'est une question qui ne se pose pas. Mais derrière elle, se profile la sempiternelle et effarante affirmation de la pauvreté de la langue lingála. UNE LANGUE n'est pas pauvre. C'est Nous, locuteurs de la langue, qui sommes pauvres, frileux ; nous manquons de courage et de détermination. C'est à nous de doter notre langue des éléments de son articulation scientifique. Quand nous cesserons d'être des auxiliaires bénévoles et zélés des cultures européennes ou occidentales, et deviendrons des créateurs d'un nouvel environnement et d'une praxis tournée vers nos propres cultures, la question ne se posera plus. En attendant, il faut se mettre au travail parce que notre tâche est incommensurable. Quant aux abréviations, c'est une préoccupation bien secondaire : Lisanga lya Bisé bînso (L.B.B.), Lisanga lya Bisé bya Afrika (L.B.A.).

Congo Vision : Votre souhait…

Kawata Ashem Tem : Mon souhait est qu'une politique linguistique volontariste s'instaure dans notre pays. Elle doit former le cadre où des initiatives privées peuvent évoluer en toute quiétude. Elle doit mobiliser les énergies afin que nos langues retrouvent leur place, non pas de subalternes, mais de partenaires avec les langues étrangères. Mon souhait est que cela s'accompagne d'un nouvel espace culturel capable d'engendrer le bien-être de la population congolaise.

Propos recueillis par Norbert X MBU MPUTU

Dictionnaire Lingala/Français...

Pour en savoir plus sur Kawata, cliquez sur ce lien

Kawata Ashem Tem François Thomas, un des plus grand défenseur de la langue nationale Lingala dans le monde

Ecoutez l'interview que Kawata a accordé à RFI-Afrique le 23 Juillet dernier .

Voir aussi: Diccionario, dictionnaire lingala-espagnol de Jean Kapenda (jkapenda@usa.net)

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