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LA SAPE EN PROCÈS

La Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes , SAPE, Néologisme d'origine congolaise, c'est à Kinshasa, dans le quartier Matonge, le quartier le plus bouillant où naissent toutes les musiques, toutes les danses, tous les groupes musicaux congolais, qu'il faudra rechercher ses origines. Son créateur et son pape est Jules Shungu Wembadio dit Papa Wemba, fondateur de I'orchestre Viva-la-Musica, ayant son quartier général dans ce qu'il appelle le Village Molokai.

1974 : Kinshasa, capitale africaine

En 1974, Kinshasa est déjà la capitale africaine de la culture et des arts, de la musique, du football, avec son équipe Nationale Les Léopards qui remportent la Coupe d'Afrique des Nations en 1974, après l'avoir remporté en 1968 sous l'appellation des Lions et la première équipe d'Afrique Noire à aller représenter le continent à la Coupe du monde en Allemagne. C'est l'année de toutes les gloires congolaises. Les grandes équipes de football passent par le prestigieux Stade tata Raphaël débaptisée Stade du 20 mai. Les grands musiciens mondiaux y viennent aussi communier avec l'ambiance kinoise : Eboa Lontin et Mano Dibango du Caméroun, Francis Bebey, Salif Keita, Myrian Makeba, Mory Kante.

Mobutu Sese Seko, le chef de l'Etat, avec son parti unique d'inspiration marxiste-leniniste, le Mouvement Populaire de la Révolution, MPR, est au plus haut de sa gloire. Non pas seulement que le zaïrois d'alors se distingue au monde par sa tenue révolutionnaire I'Abacost , forme contractée de "Abas le Costume" et avec elle la cravate, ce costume adapté du modèle chinois de Mao, qui se fait porter avec une écharpe au coup; Mao que Mobutu eut I'occasion de visiter en Chine. Mais déjà la folie de grandeur du dit timonier, fait venir à Kins­hasa pour le Combat du siècle, à plusieurs millions de dollars, le combat des poids lourds du boxe : Ali et Foreman, au Stade du 20 mai.

Quelques années avant, d'autres grands noms de la musique mondiale sont venus aussi fouler le sol congolais : Louis Armstrong, puis surtout James Brown. Terre de musique, Kinshasa ne laisse pas passer les musiques et les musiciens étrangers sans y puiser et y grignoter quelque chose dans son répertoire musical déjà riche en enrichie par la centaine des musiques traditionnelles du pays.

Les Trio Madjesi et le nouveau look

Peu avant I'arrivée de James Brown, des jeunes gens se décident de rompre avec I'ancienne musique, connue alors sous le nom de « Tango ya Ba Wendo » , Wendo, ce sexagénaire roi de la Rumba dont Marie Louisa, composée en 1948 resté le Roméo et Juliette de la musique congolaise de tous les temps. Ils sont trois Mario, Djeskin et Sinatra et se font appeler les Trio Madjesi et leur nouvel ensemble est le Sosoliso . Ils ne jouent pas seulement, mais ils dansent, ils innovent, ils font soulever les foules. Ils ont comme tenue vestimentaire et look le hip­pie, copié de James Brown, et leurs cheveux longs coiffés au peigne chaud : Ils font le show dans les bars et même dans les stades. Ils inaugurent un nouveau style d'habillement : on porte Jacket américain, Jeans, pantoufle ; les chaînettes et autres bijoux en or sont à la mode, puis, avec le retour des Léopards de la Coupe d'Afrique et de la Coupe du monde, ils concurrencent les footballeurs en se faisant brunir la peau, surtout au niveau du visage, avec les célèbres crèmes et antisepsies « Ambi » et « Asepso ».

Avant eux ou en même temps, un autre show man règne en maître absolu : Gaby Lita Bembo avec son Stukas Mombombo. Il est époustouflant sur scène, surtout avec son ami et alter ego Lomingo Alida, avec un guitariste de talent en la personne de Bongo Wende. C'est le mariage entre le sport et la musique, entre le footballeur et le musicien.

Pendant ces années aussi, d'autres grands maîtres aussi se font parler d'eux-mêmes dans un tout autre genre, la Rumba, dans sa version innovée de la Soukouss. Ils s'appellent Luambo Makiadi dit Grand Maître Franco de Mi Amor, le sorcier de la guitare et Tabu Ley Rochereau, le seigneur, la voix la plus angélique de tout le temps. Ils viennent prendre la relève des Wendo et de Jef Kallé dont les chansons n'évoquent plus que les nostalgies des indépendances.

Génération Zaiko

Lorsque, quelques années après, Sosoliso se disloquent, avec dit-on dans les cou­lisses, la main invisibles des "vieux", un autre jeune ensemble musical vint prendre la relève des Trio Madjesi : il s'agit de Zaïko Langa-Langa, dont le nom est un diminutif de Zaïre ya Bakoko, le Zaïre de nos aïeux. Autour de DV Moanda, le groupe réunissait les jeunes talentueux Nyoka Longo, Jules Shungu Wembadio dit Presley, Evoloko Abraham qui devint plus tard Jocker, Mbuta Mashakado, Manuaku Pepe Felly le talentueux guitariste créateur des rythmes et des partitions et ancien du conservatoire et de I'Académie des Beaux Arts, Bakunde llo Pablo, le nouveau homme de la batterie héritée de James Brown. Ils inaugurent ce qui s'appelle la deuxième génération de la musique congolaise moderne. Ils dansent, ils font danser. Ils inventent des danses divers , des cris, des coiffures, des modes de pantalons et des chemises.

Viva-la-Musica

Mais, comme il faudra s'y attendre, quelques années après, le groupe enregistre ses premières défections : Evoloko part créer son Isifi Lokole accompagné de Gina wa Gina et Shungu Wembadio, groupe qui ne durera que peu de temps. Ce qui poussa Wembadio à fonder son propre groupe baptisé Viva-la-Musica en 1977. Ce nou­veau groupe a la particularité d'être né à Matonge et de recruter des jeunes gens de toutes les communes de Kinshasa.

Nous sommes autour des années 80, le Zaïre d'alors vit une de ces plus grandes crises économiques sans précédent et I'école est parmi les secteurs à en porter les séquelles. Nombreux jeunes gens sont sous scolarises. L'usage des nouvelles drogues et surtout du chanvre indien, dit "bangi" refait surface. La musique devient un nouveau débouché. Un nouveau langage et un nouvel argot du Lingala naissent avec les groupes des jeunes gens appelés Bills . On parle alors "Indubil" , un mélange du Lingala, du français et des mots empruntés de nombreuses langues étrangères. On dit "Masta" pour dire camarade, "Perbal" et "Merbal" pour dire papa et maman ; une girl friend devient simplement « momie » , les cigarettes interdits sont appelées « nua », « ziki » tandis que les fumeurs sont des « nualeurs » . La crise économique a un impact social très ressenti. La nouvelle politique du recours à I'authenticité mise en place par le nouveau régime fait chasser tous les commerçants étrangers et fait octroyer leurs entreprises et leurs affaires aux nouveaux acquéreurs, proches du régime. Ceux-ci sont tous sauf bons gestionnaires. Les entreprises fer­ment les uns après les autres, les importations des marchandises décroissent sensiblement. Les prêt-à-porter deviennent de I'or. D'ou, une nouvelle mode fait surface : le recours à la friperie, «Tombola» , en Lingala. On se les arrache au marché aupràs des femmes vendeuses. Leurs coins est d'ailleurs surnommé « galérie Mongo », parce que l'accent Lingala de ces femmes vendeuses de la friperie sent du Lomongo. La friperie fait habiller plus d'un.

La SAFE

Du coup, les jeunes gens s'y jettent pour en créer une nouvelle mode. Toutes les tenues moins classiques font la une des rues. Cette friperie trouve un bon terrain dans les ensembles musicales qui en deviennent les vrais tem­ples de la nouvelle mode d'habillement et, parmi tous les musiciens, I'un se singularise dans la création et la vulgarisation de ces mo­des d'habillement qui s'accompagnent des modes de coif­fure et des souliers, il s'agit de Papa Wemba qui en fait toute une religion baptisée la SAPE, entendez la Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes. Lui-même prend mille sobriquets : Papa Wemba, le Kuru, Vieux Bokul, Mzee fula Ngenge, Ekumani, Jules Prisley, Vieux Pithon, Jeune Premier, Grand prêtre, Grand Mayas, Chef coutumier, Mwalimu, Pene Kikumba, Bakala Diakuba, Fula Ngenge. A Chacune de ses apparutions à la télévision le soir des émissions musicales récréatives, ils laissent une mode, un nom, un nouveau mot dans la lexicologie de la SAPE. Il fait porter Ungaro, Drôle des choses, se fait coiffer en Munyere, Enkoti ya nzube, etc... La SAPE devient ainsi, à proprement parler, une récupération et une certaine revalorisation mentale de la friperie. On se ne gène plus de la porter et de I'étaler au grand jour.

Mais, après 1982, Viva-la-Musica connaît sa plus grande défection avec le départ de Kester Emeneya, dit le Grand Pétrolier Nkuamambu, avec la majeure partie du groupe : Bipoli na Fulu, Safro Manzangi, Debaba, Tofla Kitoko, etc... Ils fonde Victoria Eleison. Viva-la-Musica est essoufflé. Le Chef Coutumier, Papa Wemba, cherche d'autres cieux plus cléments pour ses nouveaux recrus que sont Reddy Amisi, Ping-Pong et surtout Lidjo Kwempa qui s'illustre par deux litres phares qui font bouger tout Kinshasa : Ceci Cela et Etat-civil, des oeuvres d'une grande valeur poétique frappées de la marque Viva-la-Musica.

Mais, le vent de la compétition dite Coupe du Monde lancée par Kester, qui se fait appeler Yezu, avec son nouveau look des cheveux à la Hippy et surtout sa longue barbe, se présentant toujours en vareuse de foot­ball, fait décider Papa Wemba à aller tenter une nouvelle aventure en Eu­rope. Lui aussi n'est pas resté absent de la SAPE. Sortie du Village Molokai, pour lui «mvuatu kala i nkisi ko, kala yi technique » (L'habillement n'est pas une affaire a aller chercher des fétiches, mais c'est une simple technique ». Il deviendra lui-même « roi de Masatomo »...

La nouvelle diaspora

La, le roi de la nouvelle Rumba congolaise renoue avec les grandes scènes et surtout avec les nouvelles productions internationales. Il se fait un nom. Viva-la-Musica devient une marque internationale. Puis, noblesse oblige, avec elle la SAPE, son attribut, évolue pour conquérir d'autres marques de renom. On ne porte plus la friperie, mais on pote et exhibe vrais et faux Versace, Ungaro, Pierre Cardin, Masatomo. On les vole ou on les achète, ou tout au moins on se fait habiller par la contrebande. C'est selon…. On les exhibe et on ne s'empêche pas de faire pendre les étiquettes et les prix. Une vraie compétition s'installe. Une proclamation, comme I'indique un titre de Papa Wemba. Les marques ou « nkoma » sont toute une mode. Même les sous-vêtements ne sont pas épargnés. La SAPE tente de conquérir ses lettres de noblesse parce que tous les musiciens en font un passage obligé. Les « mikilistes » ou africains de la diaspora, ou tout simplement les « mputuvillois » en font une religion gion avec des grands prêtres comme Stervos Niakos, dit le Ngathsie qui lance le « Kitendi » , version rénovée de la SAPE. Ils organisent des manifestations, des exhibitions et des défilés de mode dont les concerts des groupes musicaux sont les vrais tests d'admission. Le Pape SAPE, Papa Wemba pousse I'opprobre jusqu'a y mettre en place un gouvernement de la SAPE qui, comme les autres gouvernements du pays, ne durent que l'espace d'un remaniement. Les grandes ville se bousculent : Londres, Bruxelles, Paris... Et, avec la crise, il ne fut pas un secret, nombreux sapeurs se lancèrent dans le noir pour satisfaire leurs appentis de paraître. Aujourd'hui, la tendance est plutôt à la retenue ou l'essoufflement des sapeurs surtout après que le pape SAPE lui-même soit arrêté et aie échappé à une condamnation pour une affaire de trafic humains, entendez le fait de faire entrer frauduleusement dans le territoire français des individus sous la bannière Viva-la-Musica. Car, cette affaire, surtout avec le documentaire passe de la BBC à Londres, a pu montrer les limites de la SAPE. Elle n'a été capa­ble que de fabriquer les brouillons congolais de la diaspora et les sapeurs eux-mêmes ressemblent plutôt a ces tonneaux vides faisant trop de bruits, sans pieds sur terre, se vantant de porter de grandes marques d'habits et roulant sur de belles voitures, alors qu'ils n'ont pas de logis.

La fin d'une histoire

Certains tentent déjà de tirer leurs révérences. Pour le moins que l'on puisse dire c'est que la SAPE amorce déjà son atterrissage forcé, faute de nouveaux papes. Même lorsque les rares derniers acolytes lancent des soubresauts de slogans comme : « Inzo ya ngolo, Mvuatu ya ngolo, Nketo ya ngolo » (Belle maison, beaux habits, belle femme). La question principale reste : qu'a-t-elle apporté réellement à la communauté congolaise cette fameuse SAPE ? Peut-on demander aux sapeurs eux-mêmes de faire le procès de leur religion ? Ne pouvons-nous pas demander aux grands prêtres de devenir d'enseigner une autre religion à la jeunesse congolaise ? Ne devait-on pas essayer de susciter d'autres leaders qui communiqueront d'autres valeurs positives, le travail par exemple, à la communauté ?

En attendant, nous ne sommes pas de ceux qui ont entonné et qui entonnent le requiem de la SAPE. Nous constatons simplement qu'elle serait longtemps morte, la tendance actuelle n'étant qu'une ombre ou un cadavre d'un serpent mort.

Norbert X MBU-MPUTU
norbertmbu@yahoo.fr

 

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