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Congo (Brazzaville) : l'or noir et la face cachée des contrats de partage de production

Par Bienvenu MABILEMONO

Le Congo (Brazzaville) est un pays potentiellement riche. Avec une faible densité (moins de 3 millions d'habitants pour 342.000 km 2 , soit environ 8 habitants au km 2 ), il présente un terroir agricole varié mais sous-exploité (3% des 8.000.000 ha de terres cultivables), bénéficie de ressources forestières importantes ( 21.000.000 ha dont 14 exploitables, comportant des essences et une faune très variées, et de ressources pétrolières (11,4 millions de tonnes en 2004) qui lui assurent un revenu national annuel par tête compris entre 600 et 700 dollars (en théorie). Sur 8.000 km de routes, seulement 1.200 sont bitumées. Une grande partie des régions est enclavée du fait du manque d'entretien, de l'insuffisance des investissements et des destructions dues aux guerres civiles à répétion. En revanche, le fleuve Congo constitue un instrument exceptionnel d'intégration régionale car il s'intègre dans une chaîne de transport qui va de la façade maritime au centre de l'Afrique (mais malheureusement en l'absence de conscience nationale forte et de vision à long terme des autorités, cet atout naturel exceptionnel n'est que très faiblement mis en valeur), La population, jeune (2/3 ont moins de 25 ans) urbanisée aux 2/3 est inégalement répartie (4/5ème dans la partie méridionale). L'appareil d'État est affaibli par dix années d'instabilité politique et sociale. Le système de santé et le système éducatif ont été durement touchés dans leur structure et leur fonctionnement par les guerres civiles. Le poids de la dette publique constitue un des freins au développement : très élevée (près de 4.000 milliards de Fcfa), avec un ratio d'endettement par tête parmi les plus élevés au monde (dette odieuse que les générations futures devront supportée). Le pays a préparé un projet de Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) qui, se combinant avec la Facilité de réduction de la pauvreté et de croissance (FRPC), lui permettrait d'accéder à l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Les discussions en vue d'un programme soutenu par le FMI sont presque terminées. Différentes étapes portant sur le poids de la dette sont programmées. Mais en dépit des engagement pris par les autorités de Brazzaville à la suite de ces négociations avec les institutions de Bretton Woods, les progrès enregistrés par le Congo dans la transparence pétrolière sont très en dessous des attentes. Voilà pour le décor.

Il convient cependant de souligner que de toutes ses colossales ressources naturelles, l'or noir est sans conteste celle qui représente le principal enjeu de la coopération internationale du Congo, notamment de la coopération franco-congolaise. Autrement dit, avec ses ressources pétrolières, le Congo aiguise les appétits des principales compagnies d'autant plus qu'en la matière, les autorités de ce pays sont parmi les plus corrompus et les moins regardant au monde. C'est le moins que l'on puisse dire. Parallèlement, d'importantes opérations de lobbying auprès des décisionnaires congolais sont constamment organisées par des représentants des principales compagnies pétrolières étrangères (BP, Shell, ExxonMobil, Chevron, Total et Eni). La question pétrolière est donc un enjeu majeur dans ce pays. C'est pour cette raison que j'ai donc décidé depuis un certain temps de m'y intéresser de plus près. Mais comme chacun le sait, cette épineuse question demeure un tabou dans ce pays. Traiter de la question de la gestion de la rente pétrolière congolaise ou tenter d'opérer un décryptage de ses mécanismes est loin d'être une tâche aisée. Ceux-ci renferment en effet de nombreuses subtilités que seuls les initiés peuvent décoder ; ce qui renforcent encore plus le caractère opaque de la gestion de cette ressource fossile et épuisable par nature, dans ce pays petit.

Pour faire simple, j'ai volontairement choisi ici d'orienter cette réflexion essentiellement sur la question des contrats dits de « partage de production – CCP ou Production Sharing Contract – PSC ou encore P roduction Sharing Agreement- PSA ». Depuis 1994 en effet, le pétrole congolais a changé de régime. Fini donc le régime de la « concession » adopté depuis les premiers puits découverts dans les années 70. En vigueur depuis le début des exploitations pétrolières au Congo, ce type de contrat a été progressivement remplacé par le contrat d'exploration et de partage production depuis l'adoption en 1994 de ce nouveau régime . Toutefois, les contrats de concession en cours de validité à cette date continuent à s'appliquer. Aujourd'hui, seul le champ Yombo, exploité par Nomeco et pour moitié propriété de la société nationale des pétroles du Congo ( SNPC ) , reste en concession. Alors ce fameux contrat de « partage de production », qu'est-ce que c'est concrètement ? En 2003, à la question de M. André Milongo, ancien Premier ministre de la transition de 1991 à 1992 après la conférence nationale, lorsque ce dernier donne le signal de départ des débats parlementaires en ces termes : « en 1994, on nous a vendu le système de partage de production parce qu'il était plus clair et plus avantageux. Avons-nous eu tort ? », M. Jean-Baptiste Tati Loutard, ministre des hydrocarbures avait répondu comme à son habitude par des termes plutôt poétiques : «  le régime de partage de production signifie qu'il y a toujours quelque chose à se partager même quand le prix du baril est faible ». Mais en réalité les choses ne sont pas aussi simples. La complexité des mécanismes de gestion de la rente pétrolière congolaise implique que l'on s'y attarde un peu plus car on le voit bien, plus de douze ans après, le choix de ce régime de partage de production fait encore débat. A tel point qu'il est l'un des nœuds au cœur des tensions que nous avons pu observer récemment entre la compagnie pétrolière française Total et les autorités de Brazzaville.

Mais très concrètement, ce système de partage de production est-il vraiment plus clair et plus avantageux pour le Congo et les congolais ? Que cache ce type de contrat ? Concrètement, l 'espace Terre et Mer est divisé en blocs pour lesquels les compagnies pétrolières doivent obtenir un titre minier, une autorisation de prospection, puis un permis de recherche et enfin un permis d'exploitation. Des conventions d'établissement bilatérales fixent alors les règles de gestion des permis de recherche. Puis les contrats viennent spécifier les modalités du partage de production. A noter que des Avenants et reconductions sont fréquemment ajoutés aux textes initiaux, rendant ainsi la littérature contractuelle pétrolière totalement incompréhensible par les non initiés.

Schématiquement, le gâteau du pétrole congolais est reparti comme suit :

Ce qu'on oublie trop souvent de dire aux congolais c'est qu'en réalité ces contrats de partage de production sont établis dans des conditions scandaleusement profitables pour les compagnies étrangères . Ils sont à vrai très déséquilibré. Le plus inquiétant reste la nature même de ce type de contrat basé sur un partage totalement inéquitable au profit des majors. Et pour cause ce type de contrat n'a plus cours au Moyen-Orient depuis les nationalisations des années 70 (où très souvent la compagnie nationale prend même le contrôle intégral des opérations et empoche tous les revenus après la période d'amortissement, comme c'est le cas en Iran pour de nombreux gisements - contrats « buy back »). Ils garantissent aux compagnies étrangères des retours sur investissements anormalement élevés sur une période exceptionnellement longue, termes que les intéressés justifient par la situation sécuritaire du pays ! De fait, durant une période d'amortissement des investissements indéfinie, les contrats de partage de production assurent à l'investisseur étranger un pourcentage des recettes, alors que le type de concession le plus répandu dans les pays producteurs prévoit un retour fixe, calculé en fonction du coût de production et non du prix de vente final, sur une période définie. En clair, lorsqu'un contrat de partage de production est en vigueur, la compagnie étrangère n'a plus qu'à prétendre cumuler les investissements, réels ou non, et prolonger ainsi ses prérogatives. C'est la situation que connaît par exemple actuellement la Russie , le seul grand pays (membre du G8) ayant d'importantes réserves mais ayant signé des contrats de partage de production (ces contrats furent négociés sous l'administration corrompue de Boris Yeltsine dans les années 90, ce que l'administration Poutine actuelle regrette amèrement. Elle a néanmoins réussi à en révoquer certains, en l'occurrence Shell sur les gisements de Sakhaline, pour des raisons environnementales et à limiter les investissements étrangers dans les futures concessions).

Les termes de ces contrats de partage de production qui sont conclus par le Congo avec les majors , en vertu de la loi congolaise sur les hydrocarbures, portent la part revenant aux majors à une tranche comprise entre 60 à 70 % des revenus dans une période d'amortissement allant jusqu'à 40 ans, et les majors empocheront 20 % des profits à l'issue de cette période. Pour comparaison, le contrat de partage de production négocié - mais non appliqué pour cause d'embargo - par Saddam Hussein avec Total en 1992 pour l'exploitation du gisement géant de Majnoun était à 40 % et 10 %, pour une période de retour sur investissements de 20 ans, ce qui reste dans la moyenne des PSA. Les conditions exceptionnellement avantageuses pour les majors dans la loi congolaise sont officiellement justifiées par la situation sécuritaire du pays. Ne voulant pas exposer leur personnel, les majors exigent de solides garanties de retours sur investissements. Il est d'ailleurs intéressant de noter que, coïncidence hasardeuse sans doute : l'escalade de violence dans le Pool entre 1999 et 2002 savamment orchestrée et longtemps entretenue par le gouvernement avec la complicité du révérend Pasteur Ntoumi, avait aggravé la situation sécuritaire et renforcé les arguments des majors pour exiger des marges toujours plus extravagantes. En effet, pour les grandes compagnies pétrolières, signer aujourd'hui des contrats de partage de production dans un pays comme le Congo qui souffre cruellement d'un déficit d'expertise nationale constitue une garantie de garder la tête hors de l'eau une fois le déclin global entamé, et contribue à maintenir à flot leurs économies nationales respectives. Ce qui revient à dire qu'en matière du pétrole, les intérêts des compagnies pétrolières occidentales et de ces États occidentaux se rejoignent (c'est pourquoi tout le monde ferme les yeux sur les pratiques peu orthodoxes de ces grandes compagnies pétrolières). De plus, les retours sur investissements calculés en proportion des revenus du pétrole privent l'économie congolaise de milliards de pétrodollars à mesure que les prix augmentent, ce qui est une certitude d'avenir pour les majors compte tenu des pics de production. Dans le scénario habituel, les revenus pétroliers restant au pays producteurs sont finalement consacrés en grande partie au paiement de contrats le plus souvent surfacturés par les mêmes intérêts occidentaux sur place (cas de SOCOFRAN et consorts réputes pour leur surfacturation systématique des travaux pour la construction d'infrastructures civiles), ainsi qu'au remboursement des dettes.

Qu'adviendra-t-il de ces milliards de bénéfices supplémentaires récoltés grâce à l'augmentation du prix du baril ? La loi congolaise sur les hydrocarbures ne prévoit bien entendu pas qu'ils ne puissent pas être rapatriés à l'étranger, contrairement à d'autres législations pétrolières qui en obligent le réinvestissement dans l'économie nationale. Le chapitre intitulé « Régime fiscal » stipule ainsi que « les compagnies étrangères ne sont soumises à aucune restriction pour ce qui est de sortir les profits du pays, et ne sont soumises à aucune taxe pour cela » . En outre, tout litige entre l'État congolais et une compagnie étrangère doit être arbitré par une cour internationale et non pas congolaise. De fait, le Congo cède-t-il gracieusement son pétrole aux « majors ». Et si le gouvernement congolais demande un jour des comptes sur les cargaisons fantômes qui n'ont pas cessé de quitter le terminal de Djeno depuis la période trouble de la guerre civile de 1997 (ce qui ne risque pas d'arriver avec ce gouvernement qui est totalement corrompu), les congolais ne se réservent pas le droit d'être juges alors qu'ils sont les grands perdants dans le jeu (il faut dire que le pouvoir actuel et ses proches profitent de ces cargaisons, sans quoi il aurait déjà imposé aux compagnies étrangères un système de mesure). Le plus étonnant dans tout cela reste que devant ce pillage à grande échelle, la communauté internationale brille par son inaction alors que les conventions internationales sont formelles : des compagnies étrangères ne peuvent confisquer à leur profit les richesses d'un pays en général et le pétrole en particulier.

Quant aux autorités congolaises qui ne se soucient guère de l'avenir de leur pays et qui jouent le jeu des majors depuis plus de trente ans, elles devraient savoir qu'à la différence de ces grandes compagnies qui doivent maximiser leurs profits à court terme pour verser dans l'année des dividendes à leurs actionnaires, les États doivent gérer leurs ressources nationales en pensant à leurs ressortissants et aux générations futures. De plus dans le contexte du désormais certain déclin de la production globale de pétrole dans les prochaines années, les compagnies pétrolières privées ont intérêt à tout pomper tout de suite, puis à vivre de la pénurie. Au contraire, les États producteurs ont intérêt à étaler la production dans le temps. Et surtout pour un pays comme le Congo qui a connu récemment une décennie presque ininterrompue de guerre civile, pendant cette phase délicate (post-conflit) de la normalisation, la stratégie d'un gouvernement qui se veut responsable devrait consister à apporter des réponses dynamiques aux besoins les plus élémentaires des populations victimes du conflit, par la multiplication d'opérations de bonne gouvernance et de transparence dans la gestion des ressources du pays, afin d'éviter la reconstitution des conditions d'une nouvelle crise, en ciblant prioritairement les jeunes désœuvrés (de toutes origines). Mais malheureusement force est de constater que ce gouvernement de rapaces qui se dit pourtant de « la nouvelle espérance » fait exactement le contraire, hélas.

Bienvenu MABILEMONO
lea.mabilemono@orange.fr

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